Contre (très) mauvaise fortune (très) bon coeur

Grèce • Le mouvement «Solidarité pour tous», qui regroupe 400 initiatives locales de solidarité de base à travers tout le pays, incarne les nouvelles formes d’organisations que la population a dû trouver pour faire face aux conséquences dramatiques des plans d’austérité. Deux militantes grecques étaient récemment à Genève pour en parler.

Le dispensaire social d’Ellinikon à Athènes, a été créé en 2011 par le cardiologue Giorgos Vichas. Il fournit des soins gratuits aux patients sans ressource. Il peut notamment compter sur 32 dentistes bénévoles qui reçoivent des dizaines de personnes chaque semaine.

Fin septembre, l’Association de soutien au peuple grec à Genève a invité deux militantes venues de Grèce pour alerter la population suisse sur la situation sanitaire dans leur pays. Charis Matsouka est médecin et Tatiana Egorova est coordinatrice de Solidarité pour tous, le mouvement de base de solidarité sociale à l’échelle du pays, qu’elles nous ont présenté. Solidarité pour tous, qui rassemble des structures de bénévoles et des groupes actifs dans le domaine de la santé, de l’enseignement ou de l’alimentation, développe l’auto-organisation et la résistance de la population soumise à l’austérité.

2’500’000 personnes sans couverture maladie
Charis Matsouka nous a expliqué que le chômage touche 28% de la population, et plus particulièrement les jeunes, dont 60% n’ont pas d’emploi. Il y a de plus en plus de chômeurs de longue durée, qui voient les chances d’une réinsertion professionnelle s’amoindrir à fur et à mesure que leur chômage se prolonge. La «discipline budgétaire» voulue par les eurocrates a laissé sur le carreau des milliers de «surnuméraires» de la fonction publique, en particulier dans la santé, le social et l’enseignement. Les employés du privé ne sont guère épargnés, car les mesures censées booster l’activité économique se sont avérées contre-productives. Deux ans après le licenciement, les chômeurs et leur famille perdent leur couverture maladie, ce qui concerne actuellement 2’500’000 personnes, presque un quart de la population. Par ailleurs, la participation obligatoire aux frais du traitement médical rend l’accès aux soins problématique pour de nombreuses personnes et en exclut pratiquement ceux qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, soit 35% des Grecs.

Tatiana Egorova nous a décrit l’essor des structures de solidarité affiliées à Solidarité pour tous. Elle en dénombre 400, qui sont actives dans les domaines aussi variés que la santé, l’éducation, le conseil juridique, la culture et bien sûr l’alimentation.

Au niveau de la santé, il existe une quarantaine de dispensaires sociaux accessibles aux plus démunis, où s’engagent des travailleurs de la santé au chômage, ou des non-chômeurs qui y consacrent leur temps libre. Des pharmacies populaires sont approvisionnées par des dons et des collectes. L’activité de ces centres est basée sur le bénévolat strict et évite la circulation d’argent.
Il y a une dizaine d’années, personne n’aurait imaginé que 1/5 de la population du pays pourrait, dans un avenir proche, ne plus manger à sa faim. Mais dès 2009, on commençait à voir des gens attendre la clôture du marché en plein air pour aller fouiller dans les poubelles municipales. Les voisins ne sont pas restés indifférents: des ménagères ont commencé à préparer des portions supplémentaires de repas pour les amener aux endroits où elles trouveraient preneurs, comme les préaux d’école ou les cours d’église. Des dons provenant de collectes, de commerçants ou de producteurs locaux ont commencé à être faits aux «épiceries sociales», créées à l’initiative de citoyens, qui distribuent aux nécessiteux vivres et produits de première nécessité.

A nouveaux défis, nouvelle organisation
Dans les grandes agglomérations, il existe des lieux offrant répit et repas aux immigrés sans-papiers, certains gérés par l’Eglise, d’autres par la municipalité. Depuis les programmes d’austérité, ces structures sont aussi appelées à soutenir des autochtones désargentés. A nouveaux défis, nouvelle organisation. Des personnes engagées politiquement dans un parti ou un mouvement social sont venues renforcer les rangs de la solidarité alimentaire. Ils ont introduit une autre approche de la question: analyser les raisons de la famine qui guette, réfléchir sur comment se défendre de façon globale, permettre aux usagers de se prendre en charge. Une approche «participative» a progressivement supplanté la vision quelque peu philanthropique. Organisés sur la base du bénévolat, participatifs, ces nouveaux collectifs tiennent des réunions régulières pour programmer leurs activités, organiser repas et approvisionnement, distribuer le travail. Les bénéficiaires y participent et sortent de la réunion chacun avec sa liste de choses à faire durant la semaine. Lors des séances, on aborde aussi l’aspect qualitatif de la nourriture, on passe en revue les modes de production, on discute OGM et BIO. Les restaurants solidaires tiennent à offrir des aliments de qualité et à enseigner des façons saines de se nourrir.

Tous organisés selon les mêmes principes, chaque centre garde son identité propre selon les locaux dont il dispose, le type de quartier où il se trouve et les gens qui le fréquentent. Dans tel nouveau quartier, le local peut ressembler à la cafétéria d’un aéroport ou à une cantine d’entreprise, alors que dans des quartiers populaires à chômage élevé, on s’attache à produire tous les jours un maximum de portions afin de ne refuser personne. Certains restos ne servent des repas que quelques jours par semaine, préférant organiser d’autres activités de solidarité. C’est le cas du «Stéki» dans le quartier central d’Exarchia, aux nombreux immeubles squattés que leurs nouveaux habitants entretiennent et dans lesquels ils déploient quantité d’activités communautaires. Le «Stéki» dispose d’une bibliothèque de prêt, d’un point de vente de produits bio, sans oublier le café autogéré ouvert tous les jours mais jamais le mercredi, parce que c’est les jours de distribution des repas. Le «Stéki» héberge des groupes de travail qui se penchent sur certaines questions, comme par exemple le collectif «Apprendre en autodidacte», qui étudie le marxisme.

D’autres structures de solidarité sont actives dans le domaine de l’enseignement, qu’il s’agisse de soutien scolaire primaire ou secondaire ou de diffusion de connaissances de façon permanente. Il y a aussi dans la Grèce d’aujourd’hui quantité d’artistes et groupes qui travaillent pour que le peuple grec ne soit pas spolié de l’accès à la culture.

La coordinatrice de Solidarité pour tous nous a invités à nous intéresser aux activités de ces quelque 400 structures du réseau, qui comptent sur la solidarité internationale. Pour elle, l’expérience du soutien à la résistance en Grèce nous préparera à mieux nous défendre contre l’offensive néo-libérale ailleurs en Europe, même en Suisse.