Des concerts qui ont marqué leur époque

Musique • La 9ème de Beethoven par Furtwaengler et des concertos par Annie Fischer et Leon Fleischer s’ajoutent à l’Histoire sonore du festival de Lucerne chez Audite.

Audite continue à faire paraître, dans sa collection Historic performances, les grands moments du Festival de Lucerne qui ont jalonné ces soixante, bientôt septante dernières années. Ces concerts ont fait l’événement. Ils ont marqué leur époque autant qu’ils sont marqués par leur temps, que ce soit à cause de la sonorité de l’orchestre ou des tempi adoptés. A chaque époque sa vérité: la 9ème de Harnoncourt est-elle plus «conforme» que celle de Furtwaengler, qui prend dix minutes de plus? La musique ne vit qu’interprétée et il n’y a point d’interprétations «authentiques», ne fût-ce que parce qu’elles sont entendues autrement aujourd’hui que jadis.

Donc on se doute bien que la 9ème symphonie de Beethoven, dirigée en août 1954 par Furtwaengler, trois mois avant sa mort, va être autant révélatrice d’une certaine tradition musicale que de la personnalité du chef allemand. On a envie de dire qu’il s’approprie l’œuvre en s’y engageant de toute son âme. Furtwaengler adopte des tempi relativement lents et surtout des changements de tempi qui accentuent un côté visionnaire, pathétique. La masse orchestrale, celle du Philharmonia Orchestra, est dense, compacte, privilégiant l’ampleur de la sonorité plus que la clarté. Par son lyrisme, l’Adagio s’étire jusqu’à l’essoufflement tandis que le finale s’enflamme de contrastes impressionnants. Le quatuor de solistes, Elisabeth Schwarzkopf, Elsa Cavelti. Ernst Haefliger et Otto Edelmann, suffit déjà, à lui seul, à rendre précieux cet enregistrement qui est en quelque sorte le testament d’un grand chef dont il faut oublier quelques petitesses évoquées dans le livret accompagnant le disque.

Des noms trop tôt éclipsés
Echo des années 60 et 62 à Lucerne, un disque jumelle le concerto pour piano de Schumann avec Annie Fischer et le 2ème de Beethoven avec Leon Fleisher, deux artistes dont on a un peu rapidement et injustement oublié les noms. Là encore, la sonorité des orchestres et les tempi, surtout dans le Schumann, sont ceux d’une époque. Giulini, à la tête du Philharmonia, et Annie Fischer, s’entendent pour une interprétation où orchestre et soliste ne s’opposent pas mais jouent dans un esprit musique de chambre. Tout en étant puissant et clair, sans favoriser la virtuosité, le jeu d’Annie Fischer est poétique, «au long souffle», disait Svatoslav Richter. Léon Fleisher, avec l’Orchestre du Festival sous la direction de George Szell, frappe par une interprétation qui insiste plus sur une certaine transparence, une élégance qu’on pourrait presque dire mozartienne avec, dans le dernier mouvement, quelque chose de primesautier. Quelques mois après ce concert lucernois, Leon Fleisher fut victime d’une «dystonie focale» qui paralysa sa main droite et ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il put reprendre une carrière normale. Ces deux disques ouvrent des perspectives parfois inattendues sur des œuvres qu’on croit connaître.

Audite, CD 95.641 et 95.643