Fonction publique, le réveil de la force

Genève • Face aux coupes de 70 millions dans le service public, les serviteurs de l’Etat sont descendus en masse dans les rues pour défendre les prestations à la population et leurs conditions de travail.

Près de 10’000 fonctionnaires se sont retrouvés sur la Place Neuve et exigé des négociations, sans préalable, avec le Conseil d’Etat pour mettre fin aux coupes. ©Carlos Serra

Travailler plus pour gagner moins dans des conditions de plus en plus difficiles». Entendue à la dérobade dans les rangs du fond pendant l’Assemblée du personnel dans une salle du Palladium pleine à craquer, cette sentence résume à elle seule le sentiment exprimé par les participants d’un mouvement social jamais vu à Genève depuis au moins 1992. Venus faire le point sur la grève reconductible menée ce mardi 10 novembre, ce sont pratiquement tous les secteurs de l’État moins les entités semi-publiques qui sont représentés pour cette AG: outre les enseignants du primaire et ceux du cycle d’orientation présents en masse, il y a le personnel soignant des HUG, la police, l’Hospice général, la Justice, les caisses de chômage, le personnel administratif, le secteur socioculturel et d’autres. 500 lieux sont ainsi concernés dans tout le canton.

Attisés par l’attitude d’un Conseil d’État sourd, aphone et aveugle, la colère et le ras-le-bol qui s’expriment chauffent la salle à blanc. Au micro qui circule dans les travées, certains disent qu’ils sont là pour leur première grève, d’autres, plus âgés évoquent des situations personnelles d’entrée à l’AVS qui préfigurent l’avenir de toute la fonction publique si les conditions continuent de se dégrader. Un représentant des chauffeurs de taxi, qui se sont joints au mouvement au nom de la protection des services publics, cite Rousseau en scandant que «les fruits appartiennent à tous». «Nous ne sommes pas de choses». Et pas dupes. Le tir groupé que l’on observe au sein des relais médiatiques du Conseil d’État ne trompe personne: ici un reportage de la télévision publique clouant au pilori des «enfants gâtés qui osent faire grève», là des rappels «du poids de la dette» systématiques frisant le conditionnement pavlovien dans les quotidiens genevois. Paolo Gilardi, secrétaire syndical du SSP, évoque une «presse de régime» qui doit faire passer le message que «le Conseil d’État fait la seule chose qu’il y ait à faire». Reconduite à l’unanimité moins sept abstentions, la grève doit amener le gouvernement genevois à changer d’attitude et entamer des négociations sans conditions préalables, telle la réduction de 5% de la masse salariale à laquelle les édiles du canton tiennent mordicus.

Marquer le coup
Sur le fond, ce qui est en jeu est comme d’habitude la réduction des moyens de l’État, lente et inexorable. Pour assurer un objectif d’économies à 70 millions par an, le passage à la semaine de 42 heures est accompagné de coupes budgétaires linéaires ainsi que le non-remplacement des départs et des mesures visant à faciliter les licenciements que le Cartel estime à près de 1’800 postes menacés pour atteindre les chiffres visés par le Conseil d’État. Car celui-ci, au-delà de l’équilibre budgétaire immédiat, cherche surtout à anticiper l’impact de la réforme de l’imposition des entreprises, la fameuse RIE III, qui fera perdre 600 millions par an au canton et dont on voit ainsi poindre les premiers effets concrets, bien avant sa mise en œuvre effective d’ici 2018.

Alors que le cortège se rassemble à la place Neuve vers 17 h, ils sont 5’000 à écouter les interventions qui se succèdent et dont le leitmotiv est de ne pas tomber dans le piège qui serait de confronter secteur public et privé, alors qu’est en jeu la destruction des prestations publiques. C’est aussi le message des syndicalistes d’Unia, représentants le mouvement des maçons en grève dans toute la Suisse, qui viennent apporter leur soutien au mouvement genevois. Maçons et personnel de l’État défileront d’ailleurs ensemble le lendemain. «On ne doit pas opposer les usagers aux travailleurs», assène Salima Moyard, de la FAMCO, en rajoutant que «nous sommes en présence d’une crise des recettes et pas d’une crise des dépenses». Le cortège s’ébranle et passe dans les Rues Basses et monte en direction de la Vieille-Ville où ce seront déjà près de 11’000 personnes qui seront réunies sur la place St-Pierre au pied de la cathédrale. Marquer le coup, c’est plus que réussi. Reste à savoir jusqu’à quand les «Maîtres du Haut Château» pourront garder la tête dans le sable.