Pérégrinations urinaires

La chronique féministe • Dans tous les pays, les WC des femmes et des hommes sont scrupuleusement séparés, et signalés par des dessins divers, où les deux sexes sont stylisés. Systématiquement, les files du côté des femmes sont interminables. Il y aurait pourtant une solution: proposer des toilettes mixtes. Le Whitney Museum, dans son nouveau siège de Manhattan sud, a décider de faire ce pas...

Je reviens de Paris. La menace terroriste y plane comme une immense aile noire: on nous fouille à l’entrée des musées, des colis suspects paralysent les voies de métro et les bus durant des heures. Les résultats des élections régionales françaises révèlent l’avancée inexorable du FN, qui se trouve en tête dans 6 régions sur 13. Sarkozy aboie: il ne veut pas que les candidat-e-s de son parti, les Républicains, se désistent en faveur de ceux de la gauche quand ils sont mieux placés pour contrer le FN. Au lieu de faire des compromis, il préfère laisser gagner le FN, dont une des premières mesures annoncées sera de fermer les centres de planning familial, un recul de 40 ans. Enfin, l’émission «Mise au point» de dimanche 6 décembre sur la RTS a montré les coulées de boue monstrueuses, au sud du Brésil, dues à la rupture de barrages nécessaires à l’exploitation minière de l’entreprise Samarco, le 5 novembre, qui ont tout dévasté sur leur passage. 60 millions de mètres cubes de boue, 650 km de berges polluées, un village de 600 âmes anéanti, 300’000 habitants sans eau, abandonnés. Les réparations nécessaires au barrage n’ont pas été faites! Et les responsables de l’entreprise nient que l’eau boueuse soit toxique, malgré les prélèvements effectués par l’Etat. Samarco fait partie du géant minier brésilien Vale, qui aurait épargné trois milliards de francs d’impôts en s’installant en Suisse, à Saint-Prex, dans le canton de Vaud. Tout cela donne une image nauséeuse de notre monde, qui me déprime.

Alors, je vais vous parler d’un sujet apparemment futile: les toilettes pour femmes. Ce titre renvoie au roman de la féministe Marilyn French, paru en 1977. Il y a longtemps que je voulais écrire un texte sur le sujet et c’est la chronique d’Anna Lietti, dans L’Hebdo du 19 novembre, qui a ravivé ce projet.

Dans tous les pays, les WC des femmes et des hommes sont scrupuleusement séparés, et signalés par des dessins divers, où les deux sexes sont stylisés. Mais parfois, l’imagination va chercher une représentation rétro, comme les silhouettes à longue robe et ombrelle (particulièrement appropriées dans un lieu dit d’aisance), ou un monocle pour les messieurs versus un chapeau pour les dames, sans parler d’un grand nombre de représentations de mauvais goût. L’essentiel étant de ne pas mélanger les sexes. Une de mes amies photographie les symboles, elle en a une jolie collection.

En principe, les musées, les théâtres, les salles de fêtes et autres lieux publics devraient offrir suffisamment de WC pour assurer le confort de chacun-e. Hélas, ce n’est jamais le cas. Il y a toujours une file d’attente interminable devant les toilettes femmes, mais aucune devant les toilettes hommes. Celles-ci, en plus d’une ou plusieurs cabines, offrent une rangée de pissoirs, ce qui permet le soulagement rapide des vessies masculines. Chez les dames, il n’y a que des cabines, en nombre insuffisant. En outre, dans certains endroits, le côté «ladies» est également celui des handicapés. Il a été calculé que les femmes passent en moyenne 2,3 fois plus de temps aux toilettes que les hommes. Il devrait donc, logiquement, y avoir 2,3 fois plus de cabines pour elles que pour eux. Or, c’est le contraire qui a été «pensé», si l’on tient compte du nombre de pissoirs. Une absurdité qu’aucun établissement n’a corrigée, malgré les files récurrentes qui se prolongent dans les couloirs.

Comme je déteste attendre, surtout devant les WC, je me dirige d’un pas assuré du côté des messieurs. Si les pissoirs sont occupés, je détourne la tête et fonce vers une cabine. Parfois, un homme me fait une remarque. J’ai une réponse toute prête: «Vous avez vu la queue du côté des femmes?» Il m’est aussi arrivé de répondre, à un homme choqué par mon intrusion: «J’en ai vu d’autres!» Quand les portes sont proches l’une de l’autre, j’essaie de convaincre d’autres femmes de faire comme moi. Mais notre éducation a été bétonnée: la plupart n’osent pas et préfèrent attendre de longues minutes dans «leur» file.
Au cours de mes pérégrinations urinaires, j’ai constaté un autre phénomène. Dans 9 cas sur 10, les toilettes pour femmes sont plus éloignées que celles pour hommes. Ou dans un recoin, comme si elles avaient été ajoutées après-coup. A la salle du Faubourg, à Genève, les femmes doivent monter à l’étage. Une fois de plus, la norme est le masculin, et les femmes sont reléguées dans le moins bien.

Il y aurait pourtant une solution: proposer des toilettes mixtes. Ainsi, il n’y aurait plus de discrimination: en cas d’engorgement, les hommes attendraient leur tour comme les femmes. Naturellement, cela signifie qu’on supprimerait les pissoirs.

Le Whitney Museum, dans son nouveau siège de Manhattan sud, a conçu des toilettes uniques et spacieuses, destinées aux hommes, femmes et handicapé-e-s. Peut-être les WC de demain? Il faudra prévoir plus de place pour ces lieux d’aisance, mais la parité et surtout les nerfs des femmes en sortiront gagnants.

Les femmes doivent se réapproprier l’espace. L’espace public: les préaux, les WC, la rue, la politique…