Goodyear, l’acharnement antisyndical de longue date

France • A la fermeture de l’usine s’est ajoutée une autre peine pour les syndicalistes CGT qui se sont battus jusqu’au bout contre cette injustice. La société, puis les directeurs ont bien retiré leurs plaintes, mais la machine judiciaire et médiatique était déjà lancée. (Paru dans l'Humanité)

Par Adrien Rouchaléou, paru dans L’Humanité

La condamnation à neuf mois de prison ferme de huit syndicalistes de Goodyear, qui se sont battus pour défendre leur emploi, a suscité un puissant élan de solidarité. «C’est pour avoir accompli leur devoir de syndicalistes que les huit de Goodyear viennent d’être condamnés», s’indigne la CGT dans un appel qui a recueilli plus de 600 signatures de personnalités, syndicalistes, universitaires, responsables politiques ou artistes. Ils dénoncent un verdict pour l’exemple, qui illustre, selon Emmanuel Maurel, député socialiste européen, une «justice de classe». Les salariés de Goodyear sont sous le choc, mais pas étonnés par la sévérité d’un jugement qui n’est que continuité. Tout au long du conflit, ils ont été pris pour cible par ceux qui cherchent à décrédibiliser le syndicalisme de lutte. L’«affaire» a fait l’objet d’un traitement à charge depuis son commencement.

Devant l’usine Goodyear d’Amiens Nord, d’où sortent les camions qui emmènent les dernières machines nettoyées et révisées vers la Pologne, deux délégués syndicaux reviennent sur les sept ans de lutte qui se sont soldés par la condamnation, mardi 12 janvier, de huit anciens salariés à 24 mois d’emprisonnement dont 9 mois ferme. «Les Américains, c’est tout de même des pourris !» lance l’un, visant la direction de la multinationale basée à Akron dans l’Ohio. «Non, c’est la politique et la justice françaises», répond son collègue. C’est un point de vue partagé ici: ce jugement est avant tout politique.

«C’est une décision gouvernementale, c’est certain, assure Jean-François Quandalle, l’un des huit condamnés. C’est la logique de notre gouvernement et de notre justice.» S’il est difficile de l’assurer, preuves à l’appui, il est néanmoins évident que l’«affaire», depuis son commencement, a fait l’objet d’un traitement très particulier de la part des autorités. Un traitement qui montre avant tout la volonté de faire un exemple.
A l’origine, il s’agit d’un conflit social tristement classique
Exemplaire, cette histoire l’est depuis longtemps. Il s’agit à l’origine d’un conflit social tristement classique. Goodyear, souhaitant concurrencer Michelin, rachète Dunlop. Dans cette rue de la zone industrielle d’Amiens Nord, deux usines se font face: l’une fabrique des pneus Goodyear, l’autre des pneus Dunlop. La direction souhaite fusionner les sites et imposer les 4×8 sous la menace de licenciements. Chez Dunlop, où la CFDT est majoritaire, on accepte. Chez Goodyear, où la CGT est la plus implantée, on refuse. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’exécutif s’intéresse peu à cette situation. Mais, en octobre, le candidat socialiste François Hollande vient à Amiens promettre, s’il était élu, une loi contre les licenciements dans les entreprises dégageant du bénéfice.

Las! Une fois à l’Élysée, ces promesses sont oubliées et, pour l’exécutif, qui se targue de prioriser et rénover le «dialogue social» et la négociation, le refus net et le choix de la lutte sociale des salariés de Goodyear et de leurs représentants CGT deviennent le mauvais exemple face aux «raisonnables» de Dunlop. Pour Igor Maslonka, délégué CGT du personnel, «depuis qu’on a un gouvernement de gauche, on en prend plein la tronche». Il a voté Hollande mais ne recommencera pas: «Sous Sarkozy, on pouvait entrer au Salon de l’automobile. Avec Hollande, on s’est fait tabasser par les CRS. Déjà, des collègues avaient pris du sursis.»
Pour contester les plans de la direction, les salariés avaient tenté tous les recours: «À partir du moment où nous avons eu un gouvernement de gauche, on a perdu tous nos procès. Avant, on les gagnait», note Igor Maslonka. Coïncidence? Le doute est permis quand on note les petites bizarreries de procédure dans le licenciement des salariés protégés. L’inspection du travail s’y était opposée, notant qu’au-delà de leurs cas, «aucune difficulté économique» n’était repérable dans l’entreprise. Bercy avait alors détaché un inspecteur, qui avait confirmé les conclusions du premier rapport. «C’est le ministère qui a validé nos licenciements», rappelle Richard Jouhannet, secrétaire du CHST (Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail).
«Il y a eu au moins 450 plaintes déposées contre Goodyear pour harcèlement, rappelle Jean-François Quandalle. Certaines personnes sont venues pendant plus d’un an et n’avaient pas de boulot, mais étaient sanctionnées au moindre manquement. Aucune de ces plaintes n’a donné lieu a des suites.» La justice sera pourtant bien plus réactive à l’encontre des salariés. Comme quand, en réaction à un incident, les syndicalistes voient débarquer dans leur local trois juges d’instruction (dont celui qui travaillait à l’époque sur le meurtre d’Élodie Kulik, une jeune Picarde violée et tuée en 2002) accompagnés par la Brigade de recherche et d’intervention. «Ils sont ressortis avec un petit cochon rose qui faisait du bruit quand on appuyait dessus, en nous disant ‘‘on prend ça en souvenir’’», se souvient Jean-François Quandalle. Un petit trophée, faute de «preuve»… Petite humiliation, en comparaison du reste: «On se dit forcément que les syndicalistes sont des criminels.»

Les dirigeants ont retiré leurs plaintes
Et puis, il y a ces trente heures de janvier 2014. La situation étant bloquée, les salariés retiennent deux dirigeants. Tout le monde savait ce jour-là que la situation était explosive. Les cadres avaient d’ailleurs choisi de tenir la réunion ailleurs que dans leurs bureaux habituels. «Ils s’attendaient à être retenus», estime Igor Maslonka.

A l’époque, un accord de fin de conflit prévoyait que Goodyear «en tant que personne morale» se désisterait auprès du procureur de sa plainte déposée pour l’occupation de l’usine. Ce qu’elle a fait, confirmait le DRH France de la société dans une lettre à la CGT en février 2015. En cours de procédure, les deux dirigeants ont retiré leurs plaintes. Contrairement à ce que disaient de nombreux politiques, à l’instar du député UMP Éric Ciotti, «choqués de (les voir) traités comme des animaux», «ils reconnaissaient qu’ils “n’avaient pas été maltraités”, mais ils ont quand même donné 8 noms sur 800 bonshommes présents. Et comme par hasard, sur les huit, six sont des délégués CGT», raconte Igor Maslonka. Leur plainte initiale a suffi: le procureur, représentant du ministère public, avait déjà décidé de poursuivre. La conclusion est connue.