On n’en a pas fini avec le harcèlement

La chronique féministe • Les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne ont un effet pervers: il est devenu quasiment impossible de défendre la cause des étrangers. L’UDC en profite pour aiguiser ses arguments en vue de l’initiative dite de «mise en œuvre». Avec sa mauvaise foi habituelle, elle veut faire croire que son initiative nous préservera des dérives des étrangers. En fait, elle attaque l’Etat de droit. Si cette initiative passait, ce serait catastrophique pour l’image de la Suisse et ses relations avec l’UE. Et elle n’arrangerait en rien la situation des femmes, ni celle du peuple, d’ailleurs. Sans parler des deux millions d’étrangers qui contribuent à la richesse de notre pays.

Les événements de Cologne m’ont rappelés mon séjour de deux ans en Allemagne, à Mannheim, avec mon ex-mari, entre 1965 et 1967. Depuis 1955, des accords entre pays favorisaient l’immigration italienne, turque, espagnole, puis yougoslave, portugaise, marocaine, tunisienne. A la fin des années 60, ces «Gastarbeiter» (dont nous faisions partie!) représentaient moins de 1% de la population. Tout au long de l’année, je trouvais les Allemand-e-s plutôt retenu-e-s, peu ouverts, rigides (les places à table dans la cafétéria étaient attribuées, nous nous sommes donc retrouvés seuls à une table, mon mari et moi).

Je revois encore un collègue claquer les talons quand il me saluait. Survint le carnaval, un événement fêté dans tout le pays pendant quatre jours. Toutes les femmes allaient chez le coiffeur, qui ajoutait des paillettes dans leurs cheveux. Nous avons donc joué le jeu, trouvé un déguisement. Dans une boîte, je me trouvai en face de celui qui claquait les talons. Il se précipita sur moi, mains en avant, pour me saisir la poitrine. Personne ne semblait choqué, mais je le fus. J’avais bien été embêtée par des saisonniers italiens, pendant les fêtes de Genève, qui m’attaquaient avec des confettis, mais cette façon de m’empoigner les seins, comme si je n’étais que de la viande, je ne l’avais encore jamais vécue. Après le carnaval, le collègue en question se remit à claquer les talons, comme si de rien n’était. J’en conçus un profond dégoût pour ce genre de comportement.

Le carnaval est un vestige des bacchanales de l’Antiquité, fêtes en l’honneur de Bacchus, qui se transformaient en orgies et furent introduites en Italie vers 300 avant J-C. Il n’est pas difficile d’imaginer les excès qu’elles suscitaient et le sort réservé aux femmes. On pourrait parler de viols généralisés et tolérés. Le fond est toujours le même: les femmes sont à la disposition du désir des hommes.

La prostitution fonctionne sur les mêmes ressorts, ainsi que la publicité. Je ne comprends pas qu’on permette encore aujourd’hui l’utilisation du corps des femmes, entier ou morcelé, pour vanter des produits. Si l’on ajoute la passivité des filles véhiculée par l’éducation et les manuels scolaires, on a tous les ingrédients pour que la situation perdure. Quand j’enseignais le français, j’avais été indignée par le contenu d’un manuel français de littérature destiné aux élèves dès 15 ans, sorti en août 1997. Comme tous les manuels de ce type, il est sexiste dans la mesure où il ne présente, du Moyen Age au 20ème siècle, que 7 femmes sur 95 écrivain-e-s. En outre, les auteur-e-s du livre (trois femmes et un homme) n’ont rien trouvé de mieux que de reproduire un «détail» du portrait de Mme de Sévigné, en lui coupant la tête!

Je pourrais multiplier les exemples, mais ce qui m’avait le plus heurté, c’est que pour symboliser des périodes, des mouvements ou des auteurs, comme la Renaissance, Maurice Scève, Ronsard, Chateaubriand, le fantastique, on avait retenu des sculptures et des peintures qui représentent des femmes dénudées, offertes. Il ne s’agit pas ici de jouer à la prude, mais de démontrer que, si même dans un manuel de littérature, on utilise le corps des femmes, le problème est profond et grave. Les auteur-e-s ont cru bien faire, ont cherché de nombreuses illustrations pour égayer l’enseignement de la littérature. La plupart du temps, c’est plutôt réussi; cependant les stéréotypes et le sexisme traversent l’ouvrage, dans leur inconscient, certes, mais le mal est fait. Le message que les femmes sont à la disposition des hommes a passé dans le «curriculum caché» (ce qu’on apprend par le non-dit).

Cette représentation des sexes, on la retrouve partout. En lisant un article sur l’anniversaire de la révolution égyptienne qui a conduit à la destitution de Moubarak, je retrouve les scènes de harcèlement qui eurent lieu sur la place Tahrir contre les femmes en général, les journalistes en particulier. En cherchant des informations sur l’usine Tavaro, aux Charmilles (GE), je tombe sur les mauvaises conditions de travail du début du 20ème siècle, où l’on parle de harcèlement sexuel (un fléau toujours actuel). En consultant des statistiques, je lis que 100% des femmes, en France, en Egypte et ailleurs, subissent le harcèlement dans la rue et dans les transports publics. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que 100% des hommes sont des harceleurs. Dans les voyages organisés, le guide, pour amuser la galerie, déverse au micro des plaisanteries sexistes, certaines au-dessous de la ceinture, dont une grande part concerne les belles-mères, surreprésentées dans ce genre de d’excursions. Ce qui me fait le plus mal, c’est que les femmes en rient aussi. Chaque fois, je vais en parler avec le guide qui, s’il se tient tranquille en ma présence, recommence au prochain voyage…

Non seulement, les femmes subissent le sexisme, la ségrégation et l’oppression, mais elles n’ont pas le droit de le dire. Un courrier de la Marche Mondiale des Femmes m’apprend la mort de trois féministes kurdes exécutées en Turquie, à Silopi le 4 janvier 2016. L’une d’elles avait coordonné le lancement de la caravane européenne de la MMF l’an dernier à Nusaybin, près de la frontière syrienne. Les Femens subissent des violences par les forces de l’ordre quand elles manifestent seins nus. On voile les femmes, on les enferme, on se moque d’elles, on pousse des cris de poule à l’Assemblée nationale française quand une députée prend la parole, on leur tient des propos sexistes, généralement destinés à les renvoyer à la maison. Pire, les femmes ne sont pas non plus égales devant la justice. En octobre 2015, quelque 160 experts de 40 pays ont abordé cette question à Berne, en présence du Conseiller fédéral Alain Berset.

Les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne ont un effet pervers: il est devenu quasiment impossible de défendre la cause des étrangers. L’UDC en profite pour aiguiser ses arguments en vue de l’initiative dite de «mise en œuvre». Avec sa mauvaise foi habituelle, elle veut faire croire que son initiative nous préservera des dérives des étrangers. En fait, elle attaque l’Etat de droit. Si cette initiative passait, ce serait catastrophique pour l’image de la Suisse et ses relations avec l’UE. Et elle n’arrangerait en rien la situation des femmes, ni celle du peuple, d’ailleurs. Sans parler des deux millions d’étrangers qui contribuent à la richesse de notre pays.