Trois ans de savon produit en autogestion

Grèce • Le week-end dernier, l’entreprise grecque de fabrication de savon VIOME, basée à Thessalonique, fêtait ses trois ans d’autogestion. Pour les travailleurs engagés dans l’aventure, l’usine est devenue un second foyer.

le modèle autogestionnaire de l’usine VioMe a besoin de la solidarité internationale pour faire face aux nombreuses instances hostiles au projet. (©Andrés Lofiego)

L’histoire remonte à 2011, moment ou l’entreprise Phikeram, dont VIOME était une filiale, faisait faillite. D’après le protocole avalisé par le juge, des modalités pour le versement des arriérées de salaires étaient prévues, mais le patronat n’en tint pas compte. Les salariés choisirent alors de prendre l’usine en main eux-mêmes. L’idée se concrétisa en 2012 avec la création de la Coopérative des travailleurs de la VIOME, qui occupa l’usine afin d’y produire dans un premier temps des produits d’entretien pour l’usage domestique. En février 2013, les travailleurs réunissaient le capital social nécessaire pour le fonctionnement de l’entreprise et surmontaient les obstacles juridiques. Depuis maintenant trois ans, ils commercialisent savonnettes, produits de lessive et de vaisselle etc. Les produits VIOME, respectueux de l’environnement et peu chers, vendus sur des marchés ou des stands de solidarité, sont appréciés par les consommateurs. Quand il y avait encore assez de matières premières en stock, l’entreprise fournissait même gracieusement des institutions sociales.

Gloire et décadence d’une entreprise

L’entreprise Philkeram avait été fondée en 1961 dans la périphérie de Thessalonique et produisait des carreaux en céramique. Philkeram-Johnson SA, issue d’une fusion en 1969, occupait 400 salariés et avait quintuplé sa production. Devenue l’une des plus grandes entreprises de la branche au niveau européen, exportant dans 23 pays, elle fournissait le matériel pour des chantiers de prestige telles que l’aérogare des Émirats de Dubaï. Ses patrons jouissaient d’une réputation plutôt bonne, et les autorités appréciaient ces créateurs d’emploi dans la région, auxquels ils accordaient diverses faveurs en leur offrant même des terrains.

En 1982, Viomichaniki-Metalleutiki (VIOME), qui produisait des minéraux industriels pour la construction, devint une filiale de la Philkeram-Johnson. Ultérieurement, Ippokampos SA, pionnière en production de carreaux pour piscines, se joignit au groupe. VIOME employait alors 60-70 personnes, son chiffre d’affaires augmentait, et entre 2000 et 2006 elle comptait parmi les entreprises les plus rentables de Grèce du Nord. Pour la société-mère Philkeram par contre, les affaires allaient de mal en pis suite à la crise dans la construction et à l’augmentation des prix de l’énergie et des transports. Affichant un chiffre d’affaires de 55 millions, la société mère faisait croire à des reins solides. En fait, elle maquillait ses difficultés. Pour continuer à recevoir des crédits, elle faisait apparaître ses dettes comme étant celles de sa filiale à succès VIOME. Quand le patron de Philkeram quitta le bateau, VIOME se retrouva avec une ardoise de 100 millions d’euros sur les bras.

Incompétence patronale ou faillite préméditée?

Incompétence patronale gravissime ou faillite préméditée? La question se pose, quand on considère qu’en 2008 encore, malgré ses difficultés, la direction de Philkeram décida d’investir dans la construction d’une nouvelle usine équipée de machines de dernière technologie et d’abandonner progressivement les anciens sites de production. Prévue pour une automatisation poussée, la nouvelle usine, qui avait coûté 8 millions, n’a jamais fonctionné. Mais entre-temps le patronat commença à licencier. En 2009, 40 personnes perdirent leur emploi. D’autres furent «mises à disposition», selon ce qu’autorise la loi lors de difficultés passagères, les employés «surnuméraires» recevant un salaire amputé de 50% pour une durée maximale de trois mois. En 2011, les machines se turent complètement et Philkeram présenta une requête de mise en faillite.

Populariser l’expérience

Pour ses travailleurs engagés dans l’aventure autogestionnaire, l’usine VIOME est devenue depuis trois ans un second foyer. Ils ne la laissent jamais seule, il y a toujours quelqu’un dans les locaux pour veiller aux matières premières et aux produits fabriqués, pour empêcher des vols et l’endommagement de machines ou de documents importants. Mais aussi pour répondre au téléphone, prendre les commandes d’amis solidaires dans toute la Grèce et à l’étranger. Il faut en outre répondre aux amis grecs ou étrangers qui veulent connaître les dernières nouvelles de la lutte de la coopérative ou n’ont pas pu trouver un renseignement sur viome.org, qui affiche des informations en 13 langues.

Le chemin de ces Grecs qui luttent pour maintenir leur usine et populariser de façon plus générale un mode de production autogestionnaire, où l’entreprise appartient au personnel, est semé d’embûches de toutes sortes. Politiques, économiques, judiciaires, juridiques et même idéologiques, provenant d’une certaine gauche… Pour faire face aux nombreuses instances hostiles, les militants de VIOME ont besoin de la solidarité nationale et internationale. Ils se déplacent ainsi à l’intérieur de la Grèce pour parler de leur expérience, se faire des alliés et présenter leur produits. Ils vont même à l’étranger, où des groupes français, allemands, espagnols voire turcs leur ont déjà fourni un soutien important. En Suisse aussi, quelque chose se prépare, et nous y reviendrons.