Soleil trompeur du dimanche 28 février

Votations fédérales • L’UDC est battue, mais elle n’en a pas fini avec sa volonté de réduire l’etat social. La mobilisation reste de mise.

Ce dimanche 28 février rentre dans le top 5 de la participation aux votations fédérales avec 63 % de votants à l’initiative de «mise en œuvre», passant du coup devant le vote sur l’adhésion à l’ONU, datant déjà de 2002, et dépassé largement de près de 5 points. Si le texte de l’UDC a évidemment cristallisé les débats et motivé en grande partie ce regain inhabituel d’activité démocratique et citoyenne, avec notamment un pic remarquable survenu durant les derniers jours avant le scrutin, les autres sujets en ont également profité pour retenir l’attention et ont produit des résultats intéressants.Tout d’abord l’initiative contre la pénalisation fiscale des couples mariés du Pdc est refusée de justesse avec un non à 50.8 %. Ce projet de «cadeau fiscal à une minorité bien lotie» ( 80 000 couples mariés) a surtout polarisé par la vision conservatrice du couple et de la famille qui s’en dégageait. Ainsi on retrouve au niveau des résultats un effet «Sonderbund» qui voit essentiellement des cantons catholiques (dont le Jura qui vote habituellement à gauche et qui arrive en tête pour le oui avec 60,1 %) approuver le texte. Pour le volet fiscal, ce sont désormais les Chambres, partagées entre partisans de l’imposition individuelle et ceux du «splitting» qui devront tricoter une solution.

Le Gothard sans coup férir

Pour le Gothard, la rénovation du tunnel et le percement d’un second tube, devisés à 2,8 milliards de francs, ont passés sans coup férir (57% de oui), puisque seuls Genève et Vaud ont refusé le texte. En effet, la rénovation du Gothard représente un investissement considérable pour un axe secondaire (17 000 véhicules par jour) par rapport aux 100 000 véhicules quotidiens de l’axe lémanique et pourrait prétériter les projets en faveur de celui-ci. Mais les arguments du «non» étaient avant tout écologiques, puisqu’une augmentation probable du trafic des poids lourds en direction du Tessin rendrait encore plus sérieuse la pollution de l’air, déjà alarmante dans certains endroits du canton, alors que des solutions alternatives de développement du ferroutage avaient été évoquées. Las, les milieux économiques ont largement emporté le morceau et les travaux devraient débuter en 2020 pour aller jusqu’en 2030.

Couplet victimaire

Autre initiative au menu ce dimanche, l’interdiction de la spéculation sur les denrées alimentaires, proposée par la Jeunesse socialiste, fait un score honnête de 40% et est acceptée par le Jura et Bâle-Ville. On continuera donc de «jouer avec la nourriture», comme le déploraient les initiants pendant la campagne. Selon les commentateurs de droite, c’est le «pragmatisme» qui l’aurait emporté sur l’«idéologie». Sera-ce aux commentateurs de gauche de rétorquer qu’on a plutôt assisté à une victoire de l’argent sur l’éthique ? Un besoin d’éthique entêtant, puisque l’initiative «Pour des multinationales responsables» sera bientôt soumise en votation. Elle demande des règles contraignantes en matière d’environnement et de droits humains pour les entreprises établies en Suisse, mais exerçant également à l’étranger. Enfin le plat de résistance du 28 février a tenu toutes ces promesses, l’initiative de «mise en oeuvre» a en effet mobilisé très largement au-delà du cercle militant et des associations de la société civile, dans une coalition hétéroclite allant des défenseurs des migrants aux patrons soucieux de l’image de la Suisse à l’étranger et inquiets pour leurs exportations, en passant par les simples citoyens d’ «origine secondos». Si la participation n’atteint pas le niveau du record de 1974 et de la votation sur l’initiative Swarzenbach, le résultat témoigne que ce n’est pas encore demain en Suisse qu’on réussira à faire porter des étoiles jaunes à une minorité de la population. Mais la victoire sur l’UDC ne doit pas faire effet de soleil trompeur, les blochériens gagnent, même quand ils perdent. Leur stratégie de victimisation réussit le tour de force de faire passer le parti le plus bourgeois, dont les caciques siègent à la tête des banques, des assurances et des multinationales, pour un parangon anti-système qui serait seul réellement à l’écoute de la vox populi contestataire. Albert Rosti, futur président des ex-agrariens, n’a d’ailleurs pas manqué dès dimanche d’entonner le couplet victimaire de «tout le monde voulait la défaite de l’UDC». Par ailleurs, un sursaut ponctuel ne suffira pas à briser une dynamique dominante dont l’objectif n’est pas uniquement la stigmatisation de l’étranger, mais aussi et surtout la casse du lien social et des instruments de redistribution de l’Etat, qui pousse la population dans les bras du populisme de droite. Il ne faudra pas l’oublier au moment de recevoir son enveloppe de vote quand le nouveau Parlement mettra en œuvre ses mesures austéritaires et de destruction du service public et qu’elles seront combattues par référendum.