Le test de Bechdel, méthode pour évaluer la place des femmes au cinéma

La chronique féministe • On a beaucoup parlé de films ces derniers temps, notamment lors des Césars (le 26 février) et des Oscars (le 28 février), qui ont remis le prix d’interprétation féminine à Catherine Frot pour Marguerite de Xavier Giannoli et à Brie Larson pour le rôle de Joy dans Room, film canado-irlandais de Lenny Abrahamson.

Aux Etats-Unis, un appel au boycott a été lancé contre la 88ème cérémonie des Oscars parce qu’aucun Noir ne figurait dans les nominations. C’est une revendication justifiée, qui met en lumière la ségrégation persistante envers les Noirs, malgré les lois, et bien que ce pays ait élu à sa tête Barack Obama. Rappelons que les Noirs, qui représentent 10% de la population, forment 35% de l’ensemble des détenus. Dans un livre, Michelle Alexander fait un constat stupéfiant: «Il y a aujourd’hui plus d’hommes africains-américains en prison ou en détention, en liberté surveillée ou liberté conditionnelle, que de Noirs qui furent soumis à l’esclavage en 1850 avant que la guerre civile ne commence.»

Qu’en est-il du côté des femmes? S’il y en a certes dans presque tous les films, et dans les nominations pour les prix d’interprétation, elles sont rares à détenir le premier rôle. Pire, elles ne sont souvent que des faire-valoir.

Avez-vous entendu parler du «test de Bechdel»? Il permet l’évaluation de la présence féminine dans un film grâce à 3 questions simples:

•           Y a-t-il au moins deux personnages féminins portant des noms?

•           Ces deux femmes se parlent-elles? Si possible au moins une minute.

•           Leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu’un personnage masculin?

Le croirez-vous? L’immense majorité des «blockbusters» échoue à ce test!

Alison Bechdel est une auteure de bande dessinée américaine, née le 10 septembre 1960 à Lock Haven, en Pennsylvanie. Le test de Bechdel est une version plus évoluée du principe de la schtroumpfette, formulé en 1991 par Katha Pollitt, l’essayiste américaine ayant remarqué qu’il y avait un nombre disproportionné de personnages masculins dans la programmation à destination des enfants.

Après plusieurs albums où les petits personnages bleus ne sont que des hommes (l’aviez-vous remarqué lors de leur parution en 1963?), Peyo décide de créer une femme, la Schtroumpfette, quintessence de tous les clichés sur les femmes.

Du côté des BD classiques, les femmes sont quasiment inexistantes. Dans les Tintin, la seule figure féminine est la Castafiore, qu’Hergé ridiculise à chaque apparition. Chez Astérix, les femmes ne sont que des épouses ou des fiancées, elles ne participent à aucune aventure. Lucky Luke court après les Dalton, Michel Vaillant court en voiture, Gaston Lagaffe rend son entourage fou, Spirou et Fantasio affrontent des aventures entre eux, Seccotine ne faisant que quelques apparitions. Johan, l’intrépide écuyer, et son compagnon d’aventures, le nain Pirlouit, vivent entre hommes dans un Moyen Âge imaginaire. Alix est un héros du temps de Jules César, Blake et Mortimer affrontent régulièrement au colonel Olrik, etc. Tous ces héros n’ont que faire de présence féminine, ils se suffisent à eux-mêmes.

Au cinéma, il y a les films de héros qui sauvent le monde: Batman, Spiderman, Superman, bien sûr, mais aussi Bruce Willis dans les épisodes Die Hard, Sylvester Stallone en Rambo seul contre le Vietnam pour sauver l’honneur des USA. L’acteur a aussi réalisé Expendables: unité spéciale, en plusieurs épisodes, qui réunissent uniquement des gros bras (dont les deux précités et Arnold Schwarzenegger). Inutile d’y chercher la femme. Les films de science-fiction correspondent généralement aux mêmes critères. Seule exception: Gravity avec Sandra Bullock dans le rôle principal, une brillante experte en ingénierie médicale.

Les duos sont aussi constitués essentiellement d’hommes: Bourvil et Louis de Funès dans Le Corniaud et La grande vadrouille; Louis de Funès et Galabru dans la série du Gendarme de Saint-Tropez; Fernandel et Bourvil dans La cuisine au beurre; Fernandel et Gino Cervi dans la série des Don Camillo; Jean Marais et de Funès dans la série de Fantômas; Gérard Depardieu et Pierre Richard dans La chèvre, Les Compères, Les Fugitifs; Belmondo et Delon dans Borsalino; Jean Reno et Christian Clavier dans Les visiteurs; Jean Gabin avec Belmondo, ou Bourvil, ou Louis de Funès; Kad Merad et Dany Boon dans Bienvenue chez les Ch’tis; Michel Serrault et Ugo Tognazzi dans La Cage aux folles; Michel Serrault et Eddy Mitchell vérifient si Le bonheur est dans le pré, Philippe Noiret et Thierry Lhermitte font Les Ripoux, Lino Ventura et Jacques Brel dans l’Emmerdeur; Jacques Villeret et Thierry Lhermitte jouent Le Dîner de cons; Bernard Giraudeau et Gérard Lanvin sont Les spécialistes; etc. pour ne parler que des films français. Il en va de même dans les films américains: Laurel et Hardy; Bud Spencer et Terence Hill; Eli Wallach et Clint Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand; Mel Gibson et Danny Glover dans l’Arme Fatale, les 92 épisodes de Starsky et Hutch, etc.

Les seuls duos féminins qui me viennent à l’esprit sont Thelma et Louise avec Geena Davis et Susan Sarandon; Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux dans La vie d’Adèle.

Revenons au test de Bechdel. Selon le site collaboratif bechdeltest.com, en janvier 2015, un peu plus de la moitié (57,5%) des milliers de films répertoriés réussiraient ce test. La part des films ne validant aucune ou qu’une partie des affirmations diminue légèrement d’année en année. Depuis 2013, certaines salles de cinéma en Suède utilisent le test pour coter les films qu’elles diffusent. En novembre 2014, la série A to Z (diffusée sur la chaîne américaine NBC mais inédite dans les pays francophones) cite, dans le 8ème épisode, le test Bechdel lors d’une conversation entre deux protagonistes féminins, avec une surimpression à l’image indiquant que le test Bechdel a été réussi.

Il y aurait donc une prise de conscience de la ségrégation que subissent les femmes dans le domaine du cinéma. Sans parler du petit nombre de femmes réalisatrices, ceci expliquant peut-être cela. Depuis que j’ai entendu parler du test de Bechdel, je ne regarde plus aucun film, plus aucune série télévisée de la même manière. Je me rends compte qu’effectivement, les femmes parlent rarement entre elles. Les dialogues se font entre elles et un homme, souvent un supérieur hiérarchique. Et les rares fois où deux femmes discutent, c’est généralement d’un homme…