Un manuel pour changer le monde

Lecture d’été • Changer l’Europe, mais aussi le monde, c’est possible selon Attac. Dans son «petit manuel de la transition», l’organisation altermondialiste revient sur les 6 étapes qui selon elle sont essentielles à ce projet.

Attac ambitionne de défaire le pouvoir de la finance et favoriser la transition écologique.

Un «petit manuel de la transition pour toutes celles et ceux qui aimeraient mais doutent qu’un autre monde soit possible». Voilà le titre alléchant de l’ouvrage de 150 pages récemment réédité par Attac. En ces temps agités, qui ne rêve pas d’avoir en mains une liste d’instructions, qui, comme le montage d’une armoire Ikea, indiqueraient les étapes successives pour aller vers un monde meilleur? Si les manuels du géant suédois font déjà s’arracher les cheveux à plus d’un, changer le monde s’avère toutefois encore moins une mince affaire. Selon Attac, ce projet peut cependant être concrétisé «dès demain» et «sans attendre», ceci en 6 combats.

Des dépenses publiques stables depuis 20 ans

Première mission, «défaire le pouvoir de la finance». L’organisation rappelle que, si «on aurait pu croire que la crise de 2008 allait pousser les gouvernements à mettre au pas les acteurs financiers», aucune mesure n’a en réalité été prise. Au contraire, après avoir été «réanimées par des injections massives d’argent public», les banques ont «retrouvé leur voracité et accru encore leur emprise sur nos vies». L’organisation appelle ainsi à un contrôle de la société sur les banques, la réduction de leur taille pour éviter qu’elles ne soient «trop grandes pour faire faillite», une taxe sur les transactions financières, ou encore l’éradication des paradis fiscaux et de la spéculation.

«Les déficits publics sont dus à une diminution organisée des recettes, non pas à une quelconque envolée des dépenses publiques qui depuis 20 ans sont restées stables en proportion de la richesse créée», poursuit Attac, rejetant les discours sur une nécessaire austérité et abordant la question de la dette, second combat à mener. Et de proposer l’annulation ou la restructuration de certaines dettes, un moratoire sur les intérêts de la dette et la constitution de commissions d’enquête sur les origines de la dette publique, pour évaluer notamment «le volume de dettes privées endossées par les Etats lors de la crise financière de 2008, de même que la contribution des cadeaux fiscaux au gonflement de la dette».

Désobéir aux règles de l’UE

Au niveau européen, et cela en intéressera plus d’un au moment ou chacun s’interroge sur l’avenir du continent, la BCE devrait rendre des comptes aux populations, et surtout «pouvoir prêter en dernier ressort aux Etats et leur racheter directement des titres de la dette publique, sans condition d’austérité». «Toutes les règles actuelles qui sanctuarisent l’austérité, telles que le pacte budgétaire, entré en vigueur en 2013, doivent être remplacées par un pacte pour l’emploi, les droits sociaux et écologiques». Il faut en outre abolir les articles du traité de Lisbonne qui interdisent tout contrôle du mouvement des capitaux. Pour Attac, des pays doivent avoir le courage de désobéir aux règles de l’UE sur ces questions de la dette, du contrôle de capitaux ou de l’émission monétaire.

Troisième et quatrièmes combats, la transition écologique – l’accès à l’eau et aux ressources naturelles doit être géré de façon collective et non par des grands groupes de façon marchande- et la remise en question du libre-échange au nom de la liberté. «La liberté sans égalité, c’est “le renard libre dans le poulailler libre’’», résume Attac, rappelant que les règles étatiques, présentées comme des contraintes, ne représentent en fait que la base nécessaire au vivre-ensemble.

Au-delà de la délégation des pouvoirs

Aujourd’hui, «les tenants de l’idéologie néolibérale vantent l’avènement d’une “société du risque’’ où la flexibilité, la libre entreprise et la libre concurrence seraient les conditions de la croissance et du bonheur… mais des risques eux-mêmes n’en prennent aucun, (…) la peur du lendemain échoit aux autres. (…) La liberté des démunis consiste à se débattre seuls pour la survie dans une immédiateté sans repères». Les aides sociales, quant à elles, sont devenues des «instruments pour discipliner et contraindre les chômeurs», dénonce Attac. C’est le cinquième combat, celui de la justice sociale.

Allusion directe aux luttes actuelles contre la loi travail en France, on lit que «la précarisation ne favorise en rien l’embauche mais seulement les profits». Solutions parmi d’autres, la création d’emplois via la reconversion écologique ou la reprise du contrôle des entreprises par les salariés.

Enfin, c’est à une redémocratisation de la société, sixième et dernier combat, que l’organisation appelle. Un terme doit être mis à la confusion entre rôles politiques et économiques et les médias indépendants soutenus. Il faut une démocratisation des institutions, mais aussi «la recherche de nouvelles pratiques démocratiques non exclusivement délégataires, comme la démocratie directe ou le tirage au sort». Cela vaut aussi pour le projet européen, «projet économique capitaliste en premier lieu». «A force d’ignorer et de contourner les peuples la construction européenne s’est discréditée et va à sa perte», analyse Attac.

Un appel à la convergence des luttes

Pour que toutes ces idées ne restent pas à l’état de vœux pieux, il faudra cependant un puissant mouvement qui les soutient. Or, s’il existe de nombreuses initiatives telles que les vagues contestataires apparues depuis 2011 ou des mouvements plus anciens ou locaux, dont plusieurs sont énumérés dans l’ouvrage, le rapport de force est largement défavorable. En outre, «le mouvement social et citoyen demeure dispersé et ses composantes ont souvent tendance à se replier sur leurs terrains de lutte respectifs». Pourtant, «face au capitalisme financier, les causes sociales, écologiques et démocratiques ne pourront avancer qu’en se reliant les unes aux autres», conclut Attac.

Un appel, en ces temps sombres, à la difficile mais nécessaire convergence des luttes. Un appel aussi à chaque citoyen à se positionner, à décider de reprendre les pleins pouvoirs sur son destin.

Attac, Petit manuel de la transition pour toutes celles et ceux qui aimeraient mais doutent qu’un autre monde soit possible, Editions Les liens qui libèrent, 2016