Refoulements à la frontière sud

Reportage • Depuis le mois de juillet, des centaines de personnes cherchant une protection en Europe sont bloquées à la frontière entre Côme et Chiasso. Alors que les vrais responsables des refoulements illégaux ne sont pas inquiétés, les personnes solidaires sont criminalisées.

Coup de téléphone jeudi 1er septembre. On m’informe que la députée tessinoise Lisa Bosia Mirra vient d’être arrêtée. Elle aurait aidé quatre mineurs sans document de voyage à entrer en Suisse. Présidente de l’association Firdaus, elle vient en aide depuis le mois de juillet aux centaines de demandeurs d’asile bloqués à Côme par les gardes-frontières suisses. Libérée depuis, Lisa Bosia est actuellement sous enquête pénale et tenue au silence.

Un camp aux portes de la Suisse

Je m’était rendue à Côme les 21 et 22 août avec un camarade tessinois. Nous voulions voir de nos propres yeux ce qui attirait tant l’attention des médias depuis quelques semaines. Nous avons rencontré Lisa à Chiasso, où son association préparait chaque jour le repas de midi pour les migrants de l’autre côté de la frontière, le déjeuner et le souper étant pris en charge par Caritas Côme. Ce jour-là, l’association a distribué près de 900 assiettes dans ce parc situé à quelques mètres de la gare San Giovanni où vivent des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans l’attente d’un passage chaque jour plus improbable. Pourquoi leur chemin s’arrête-t-il aux portes de la riche Suisse?

Changement de pratique 

Les autorités fédérales répètent que tout va pour le mieux, que rien n’a changé et que le Corps des Gardes-frontières fait bien sont travail. Pourtant, comme l’a relevé la coordinatrice asile d’Amnesty International Suisse, les gardes-frontières ont renvoyé vers l’Italie 60 pour cent des personnes sans document de voyage ces dernières semaines, ce qui représente «un taux inhabituellement haut de renvois». Plusieurs associations ont dénoncé le fait que des personnes ayant exprimé clairement leur intention de demander l’asile en Suisse ont été refoulées vers l’Italie, y compris des mineurs non accompagnés qui voulaient rejoindre des membres de leur famille en Suisse. Ces refoulements se font en vertu de l’accord de réadmission ratifié en 2000 par la Suisse et l’Italie, et n’a rien à voir (contrairement à ce qui a été dit, y compris par la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga) avec une application stricte des accords Dublin. Un tel changement de pratique ne peut faire suite qu’à une décision venant «d’en haut». Mais qui, quand et pourquoi sont des questions auxquelles le Conseil fédéral refuse de répondre jusqu’à présent.

Un durcissement qui se prépare depuis longtemps

On sentait venir un durcissement du régime des frontières depuis un certain temps. Ueli Maurer à la tête du Département fédéral des finances (dont dépend le Corps des Gardes-frontières), ça allait forcément faire des dégâts. Quant à la planification d’urgence concoctée par le Conseil fédéral et rendue publique en avril dernier, elle ne laissait plus l’ombre d’un doute. En cas d’augmentation importante du nombre de demande d’asile, «le Cgfr renforce en priorité les contrôles le long des tronçons frontaliers sensibles et veille à appliquer les accords de réadmission passés avec les États voisins. Il appuie le SEM dans l’enregistrement des demandes d’asile». À la même époque, le Conseil fédéral annonçait la création de 130 nouveaux postes de garde-frontières jusqu’à 2017. L’austérité n’est pas à l’ordre du jour pour tout le monde. De son côté, Maurer rendait visite en juillet à son homologue italien Alfano pour améliorer la coopération entre les deux pays et s’accordait avec lui sur trois points concernant la protection des frontières: allongement du temps de présence des gardes italiens à la frontière tessinoise afin que les refoulements immédiats de migrants irréguliers soit plus efficaces ; présence de patrouilles mixtes dans les trains Milan-Paris ; constitution d’une équipe de crise au Tessin, chargée d’informer Italiens et Suisse sur la situation migratoire. Mi-juillet, le Conseiller fédéral proposait d’introduire une procédure spéciale de 48 heures pour «les migrants d’Afrique».

Qui sont les vrais criminels ? 

L’objectif de ces nouveaux durcissements est, pour employer les affreux mots de Maurer, «une diminution des migrants  »illégaux »». Seulement voila: tout comme la guerre, les persécutions ou la misère ne vont pas disparaître simplement parce que vous fermez les yeux, les personnes arrivant en Europe au péril de leur vie pour y chercher une protection ne vont pas s’envoler parce que vous augmentez le nombre de patrouilles à la frontière. Surtout quand la plupart des autres routes vers l’Europe sont déjà fermées. Vous pouvez y envoyez l’armée, comme cela risque d’arriver lors de la prochaine session parlementaire, elles resteront là, bloquées, visibles, dérangeantes, dans l’attente d’une solution pour poursuivre leur chemin. Ne vous étonnez pas alors qu’elles se tournent vers des passeurs. Certains, il est vrai, sont des criminels organisés. Ils profitent de la détresse d’autrui pour s’enrichir. Mais leur absence de morale n’est pas plus condamnable que celle des dirigeants suisses et européens qui défendent une politique d’asile toujours plus inhumaine et meurtrière. Laissez les êtres humains circulez librement et légalement, et plus personne n’aura recours aux services de passeurs. Quant à ceux qui, comme Lisa, désobéissent par solidarité et de manière désintéressée pour aider l’Autre dans sa fuite, dans sa recherche d’une vie meilleure, ils méritent notre respect. Toute tentative de criminalisation à leur encontre doit être combattue. Et finalement, nous devons tout simplement les remercier, car ils nous offrent un peu de dignité en des temps où elle fait cruellement défaut.