Quand l’identité a un sens progressiste, de la musique aux partis politiques

La chronique de Jean-Marie Meilland • Peut-on être à la foi nationaliste et progressiste? A l’heure de la mondialisation néolibérale, il existe des projets nationaux progressistes qui défendent le droit à vivre dans son pays en préservant sa culture propre et en contrôlant démocratiquement ses richesses: est-ce une idée de droite? Etre attaché à une identité collective, en étant fier des éléments culturels caractéristiques de sa communauté, ne signifie aucunement qu’on méprise et qu’on rejette les autres sociétés: au contraire, plus on a confiance dans son identité collective, plus on est ouvert au dialogue et aux échanges avec les autres...

J’ai assisté pour la première fois, en août dernier, au Festival interceltique de Lorient, en Bretagne. L’intitulé même indique que le but principal est de célébrer la culture celtique où qu’elle soit cultivée, que ce soit en Bretagne, en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles, en Galice, dans les Asturies, ou dans les pays des autres continents où des Celtes se sont établis, comme l’Australie qui était cette année l’invitée d’honneur. Durant plus d’une semaine, une pluralité d’activités se déroulent, attirant des centaines de milliers de visiteurs et faisant de cet événement annuel le premier festival de France.

La musique est le domaine le mieux représenté. C’est à Lorient que chaque année a lieu l’un des deux concours dans lesquels s’affrontent les meilleurs bagadou, les fanfares traditionnelles bretonnes associant sonneurs de cornemuses et de bombardes et groupes de percussionnistes: ces ensembles très créatifs proposent une musique traditionnelle vivante, en constante évolution et d’une remarquable qualité musicale (cette année, c’est le Bagad Cap Caval, du Sud-Finistère, qui est sorti vainqueur). On peut aussi assister à des concours de cornemuse écossaise auxquels participent d’excellents solistes, aussi bien de musique légère (la musique écossaise souvent rapide qu’on entend habituellement), que de musique classique ou pibroch (qui est une magnifique musique lente et méditative) (l’Ecossais Fred Morrisson s’est illustré cette année dans les deux registres). Mais on y entend aussi des groupes jouant avec divers instruments de la musique traditionnelle plus ou moins modernisée, des violonistes, des accordéonistes, des harpistes. Se produisent aussi des danseurs et danseuses (notamment les remarquables interprètes de danse irlandaise). A l’affiche de certains concerts figurent des artistes aussi connus que Joan Baez ou Alan Stivell. En ville, divers groupes se produisent devant les cafés et restaurants, et l’on peut alors écouter du rock ou des musiques plus surprenantes.

Mais d’autres domaines que la musique sont aussi présents: une grande parade est un moment très populaire équivalent à une fête folklorique des costumes, de nombreux stands exposent des livres, des produits d’artisanat toujours estampillés celtiques, des conférences sont données, on peut visiter une exposition d’artistes des pays celtiques. La politique n’est pas oubliée, puisque les défenseurs des intérêts de la Bretagne et de la langue bretonne ont leur place et que cette année se donnait un spectacle commémorant le centenaire de la Rébellion irlandaise de 1916. Et bien sûr un domaine essentiel à ne pas oublier est tout ce qui regarde l’art de vivre, avec des stands de nourritures et de boissons propres à l’aire celtique, et dans toute la ville, dans des bars et restaurants bondés et remplis de musique, une ambiance très sympathique rassemblant toutes les générations, visiteurs des divers pays celtiques, mais aussi touristes venant de toute la France et de l’étranger.

Le Festival de Lorient est assurément axé sur l’affirmation et le partage de l’identité celtique. Le terme d’«identité» peut déplaire à gauche, car il est effectivement revendiqué par ces identitaires fascisants qui s’accrochent à un édifice de préjugés pour agresser ceux qui sont différents. L’identité n’a pourtant rien, en soi, de négatif. C’est une donnée anthropologique de base pour les êtres humains d’avoir une identité individuelle et, en tant qu’êtres sociaux, une identité collective. Les principaux adversaires de l’identité collective sont aujourd’hui les chantres du néolibéralisme mondialisé, dont le grand objectif est de dissoudre les communautés au profit d’une multitude d’individus livrés aux caprices du marché.

L’identité collective n’est bien sûr pas raciale, et l’appartenance identitaire n’implique pas qu’on ait vécu ensemble des siècles dans un pays. Elle est une invention culturelle, en perpétuel changement, au service de l’unité des sociétés, donnant les raisons d’y adhérer et nourrissant les solidarités entre leurs membres. Etre attaché à une identité collective, en étant fier des éléments culturels caractéristiques de sa communauté, ne signifie aucunement qu’on méprise et qu’on rejette les autres sociétés: au contraire, plus on a confiance dans son identité collective, plus on est ouvert au dialogue et aux échanges avec les autres. C’est ce type d’identité collective forte et ouverte que promeut le Festival de Lorient, représentatif en cela de la vision largement répandue aujourd’hui dans les pays celtiques. La fidélité aux musiques traditionnelles n’exclut par exemple en aucun cas le métissage avec des musiques modernes.

Le sens de l’identité celtique tel qu’il est vécu au Festival de Lorient incite à évoquer l’attitude progressiste d’une large part des mouvements nationaux des pays celtes. En Bretagne, le plus important des partis nationalistes, obtenant 5 à 10 % des suffrages aux élections locales et ayant 80 élus municipaux, est un parti de gauche, l’Union Démocratique de Bretagne. Depuis 2015, ce parti est allié à un autre parti de gauche, Mouvement Bretagne et progrès, regroupé autour du maire de Carhaix Christian Troadec. Le Plaid Cymru, parti nationaliste gallois, qui a obtenu plus de 12 % des voix en 2015 se situe à gauche. En République d’Irlande, après des décennies de confiscation de la cause nationaliste par des partis conservateurs, puis libéraux, nés au début de l’histoire du pays, le Sinn Fein, parti de gauche radicale, est devenu le 3ème parti national, avec près de 14 % des voix et 23 députés; en Irlande du Nord aussi, ce parti est devenu le principal parti nationaliste et détient 28 sièges sur 108.

Quant au SNP (Scottish National Party), au pouvoir en Ecosse et qui obtient de 40 à 50 % des voix, s’il est avant tout nationaliste, sa ligne depuis des années est plus à gauche que celle du Labour social-libéral (en Ecosse on citera aussi les petits SSP (Scottish Socialist Party) et Solidarity, qui concilient les positions de la gauche radicale et l’indépendantisme)1. A l’heure de la mondialisation néolibérale, il existe des projets nationaux progressistes qui défendent le droit à vivre dans son pays en préservant sa culture propre et en contrôlant démocratiquement ses richesses: est-ce une idée de droite? Comme l’écrivait Jaurès: «C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles»

1)Le reproche d’interclassisme adressé aux mouvements nationaux n’est pas toujours justifié: la défense de l’indépendance d’un peuple sur un territoire n’empêche pas d’y reconnaître des luttes de classes ni d’exercer la solidarité avec les travailleurs des autres pays.