Tamedia s’empresse pour ses actionnaires

Suisse • Face aux licenciements de 24 personnes à la «Tribune de Genève» et «24Heures» par Tamedia, la résistance s’organise.

Près de 300 personnes (ici, la journaliste Laurence Bezaguet) se sont regroupées devant la Tribune de Genève pour dénoncer les licenciements dans le journal ©Carlos Serra

Près de 600 personnes – personnel, militants syndicaux, politiciens ou acteurs de la société civile – ont défilé le 27 septembre à Lausanne et Genève pour demander que le géant de la presse zurichois, Tamedia, repreneur des titres romands d’Edipresse depuis 2011, fasse marche arrière dans les économies de 2 millions prévues dans les deux titres romands. Dans leur allocution, les syndicats Impressum et Syndicom ont rappelé la bonne santé financière de l’entreprise. «En 2015, un bénéfice record de 334 millions de francs a été réalisé. La presse va mal, mais Tamedia pète le feu! Au lieu d’investir dans les titres qui ont fait sa prospérité, ce groupe préfère doubler le salaire de son CEO, Christoph Tonini, de 3 à 6 millions de francs. Pour annoncer ensuite des plans de restructuration qui mettent en péril la presse régionale», a ainsi souligné, Yves Sancey, porte-parole de Syndicom.

Une logique purement financière

«Nous sommes bien évidemment sidérés et choqués par l’ampleur ces licenciements», souligne Eric Budry, représentant de la Société des rédacteurs et du personnel de la TdG, «Tamedia a opté pour l’intérêt des actionnaires, qui veulent que chaque titre du groupe soit bénéficiaire. La direction ne veut consentir à aucun effort financier pour des investissements temporaires dans les deux titres régionaux pour passer le cap», explique le journaliste.

Les représentants des deux Société des rédacteurs et du personnel des journaux concernés ont rappelé, dans un communiqué de presse, combien cette restructuration à la hache «allait mettre en danger la substance même du journalisme régional: l’information, sa diversité et sa qualité». Ils ont en appelé à ce que le groupe de presse sorte de sa logique purement financière et «parie sur l’avenir plutôt que de s’engager dans la voie sans issue d’un affaiblissement de l’offre». Ils ont aussi assuré qu’ils feraient tout ce qui est dans leurs moyens «pour en limiter l’impact sur la qualité des journaux et atténuer les dégâts qu’elle provoquera sur les collaborateurs».

Soutien régional

Cette saignée dans les effectifs dans les deux journaux en quasi-monopole dans leur canton respectif a aussi suscité des réactions rapides et virulentes au niveau des autorités. Les cantons de Genève et de Vaud se sont ainsi fendus d’une lettre commune à la direction de Tamedia afin de fait part de leur vive inquiétude à propos des mesures de restructuration annoncée. Préoccupés par la diversité de la presse, les deux gouvernements ont appelé à une discussion et à un échange de vues sur les perspectives à court et moyen termes de l’activité des médias dans les deux cantons. De leur côté, les syndics de plusieurs grandes communes vaudoises comme Lausanne, Nyon, Morges ou Yverdon-les-Bains ont rédigé une lettre ouverte à l’intention du groupe. Tout en rappelant «l’importance d’une presse régionale de qualité pour le fonctionnement de notre démocratie», ils l’ont invité à surseoir aux mesures d’économies proposées et à ouvrir des négociations avec les sociétés de rédacteurs «afin de développer une stratégie de développement, qui s’appuie sur le contenu rédaction, principale force d’un groupe de presse».

Tamedia sans concessions

Pas en reste, les partis politiques montent aussi au créneau. Les Verts genevois condamnent ainsi la décision de coupes budgétaires et les licenciements, annoncés par Tamedia et exigent l’ouverture de vraies négociations, en pointant «l’absence totale de vision de l’actualité romande» faite par les Zurichois. Une pétition intitulée «Tamedia: non au sabordage de la presse régionale romande», vient aussi d’être lancée. Du côté de la direction, on met en avant le recul de 14% du chiffre d’affaires publicitaire depuis début 2016 des deux journaux. Un cache-misère face à la volonté du groupe de développer ses plates-formes digitales rentables (ricardo.ch, homegate.ch et search.ch) au détriment de l’information citoyenne. Pour l’heure, une première rencontre a eu lieu avec le syndicat Impressum. «L’entrevue a plutôt mal commencé. La direction conteste tout licenciement collectif», précise Eric Budry.. Un deuxième round de négociations avait lieu ce jeudi à l’heure où nous mettions sous presse. «Nos objectifs, ratifiés par une assemblée générale du personnel, sont de refuser les licenciements, que des mesures alternatives et un guichet de départ soient mis en place ou qu’un plan social digne de ce nom soit signé»,  conclut Eric Budry, qui n’exclut pas que des mesures de lutte ou des manifestations de la part du personnel soient prochainement à l’ordre du jour