Congrès de Syriza: «À droite toute!»

Grèce • Réclamé par les militants dès l’acceptation du troisième mémorandum en août 2015 et sans cesse reporté, le deuxième congrès de Syriza s’est finalement déroulé du 13 au 16 octobre dernier au Pirée.

Un stade près du Pirée a accueilli quelque 3’000 délégués représentant 30’000 membres. Tous les partis politiques grecs, à l’exception des nazis d’Aube dorée, étaient invités à assister aux travaux. «Unité populaire», le mouvement fondé par des militants de gauche ayant quitté Syriza, le Parti communiste et Antarsya (extrême gauche) ont décliné l’invitation. On a dénombré 80 délégations étrangères parmi lesquelles Podemos, dont le dirigeant Pablo Iglesias n’a cependant pas fait le déplacement.

Un discours fleuve de Tsipras

Les membres de Syriza n’attendaient manifestement pas grand-chose de cet événement. Sentant que les dés étaient pipés et qu’on ne leur demanderait que d’approuver des options déjà prises, les militants des organisations de base de Syriza n’avaient pas été très assidus aux réunions préparatoires. Pourtant, les médias proches du gouvernement, le quotidien Avyi en particulier, exhortaient sans cesse les militants ainsi que tout le public à rédiger des contributions aux travaux préparatoires du Congrès. Avyi a bien publié quelques-uns de ces textes, mais ceux-ci émanaient principalement des habituels thuriféraires du premier ministre et de son cabinet, pour souligner «l’héroïsme gouvernemental, qui avance malgré les obstacles vers la sortie du marasme économique et la justice sociale», et suppliaient de ne pas laisser tomber le «gouvernement de gauche». C’est en vain que nous avons cherché quelques contributions sur la nature de Syriza et ses mutations, ou sur ses bilans et les questionnements de ses militants. A l’ouverture de la rencontre, et de nouveau juste avant sa conclusion, les congressistes ont eu droit à des discours fleuves d’Alexis Tsipras, qui cumule le poste de premier ministre avec celui de président de Syriza. Tout au long de ses exposés, Tsipras a défendu son action gouvernementale, affirmant avec emphase qu’il entend accomplir à la lettre ce qui a été convenu lors de la signature du 3ème mémorandum, et que tout irait mieux après. Les délégués étaient appelés à voter le programme du parti et à élire le comité central et le président. En outre, ils devaient se prononcer sur quelques modifications des statuts. La proposition d’introduire des quotas pour garantir une présence féminine d’au moins 30% dans les instances du parti a été admise sans objection. Un amendement, qui vise à limiter la présence de membres du gouvernement et de dirigeants d’entreprises à participation étatique dans les instances du parti, n’a pas été soumis au vote, on en débattra ultérieurement sur la base d’une nouvelle version…

Pas d’alternative en vue

En outre, le congrès a voté que le nombre des membres du Comité central passe de 203 à 151 membres. Alexis Tsipras entrera peut-être dans l’histoire comme l’inventeur du «centralisme démocratique bicaméral». Les nouveaux statuts du parti flanquent en effet le Comité central d’un Comité de représentants régionaux, ceci probablement en accord avec un projet de révision de la Constitution, qui créerait au parlement une Chambre des régions. Les perspectives sont sombres. Certes, il y a des contraintes venant de l’extérieur, mais plus que de celles-ci, le vrai danger vient de Tsipras et de sa cour. Les participants au deuxième congrès ont voté à 93,5% pour Tsipras, qui était d’ailleurs le seul candidat. Les critiques à l’égard de Syriza formulées par des militants ayant quitté le parti, comme Lafazanis avec l’Unité populaire ou Zoé Constantopoulou, ont beau être pertinentes – aucune proposition de sortie de la crise n’a encore su convaincre au point d’obtenir une adhésion suffisamment large en Grèce. n Anna Spillmann

 

 

Les origines de Syriza

Que s’est-il passé avec Syriza, le parti de tant d’espoirs? Comment se fait-il qu’il accepte maintenant que les organismes internationaux de finance lui imposent l’austérité et l’engagent même à leur céder une partie de la souveraineté étatique? Il nous faut faire un détour par l’histoire de ce parti dès l’origine. Nous pourrons ainsi saisir les mutations en train de s’opérer au sein de Syriza, tout en jetant un regard sur la gauche grecque avec ses scissions et ses recompositions, mais aussi ses efforts très sérieux d’unification. Fondé en 1918, le Parti socialiste des ouvriers grecs s’affilia à la IIIe Internationale en 1924 et devint le Parti communiste grec (KKE). Celui-ci connut de longues périodes de clandestinité (1936-1944 et 1947-1974) pendant lesquelles ses dirigeants vivaient en URSS, en Roumanie ou en Bulgarie. Pour pouvoir participer à la vie politique tout en étant clandestin, le KKE interdit créa en 1951 le parti légal de la Gauche démocratique unie (EDA). Lors du putsch des colonels en 1967, l’EDA fut dissous à son tour et ses dirigeants arrêtés, quand ils ne purent rejoindre leurs camarades déjà en exil. Ceux-ci, en conformité avec leurs pays d’accueil, s’alignèrent sur la politique de Moscou. Or les Soviétiques voulaient voir en Giorgos Papadopoulos, le leader de la junte, un Nasser grec susceptible de rejoindre le bloc des Non-Alignés. Leur critique des putschistes étant par conséquent des plus tièdes, le KKE perdit beaucoup de sa crédibilité en Grèce, où ses militants, marginalisés, subissaient une répression féroce. La direction du «bureau intérieur» reprocha aux «hommes de Moscou» d’être trop éloignés de la réalité grecque et proclama, en 1968, la fondation d’un nouveau parti, le «KKE de l’intérieur». Après la chute des colonels en 1974, les militants du KKE, de nouveau légal, du KKE-intérieur et de l’EDA participèrent en tant que «Gauche unie» aux élections parlementaires.

Synaspismos et Syriza

Le Synaspismos (alliance) de la gauche et du progrès (SYN) prit ses origines dans la coalition formée en 1989 en vue des élections nationales, coalition dont faisaient partie le KKE, le Parti communiste de l’intérieur et l’EAR («Gauche grecque»). Recueillant 13% des voix, SYN obtint 28 sièges et devint le troisième parti du pays. Syriza («Alliance de la gauche radicale») existe de fait depuis 2001, quand des militants se rencontrent dans «l’Espace de dialogue pour l’action commune de la gauche» pour débattre de justice sociale, de protection des droits fondamentaux, de fiscalité et surtout de la société qu’ils souhaitent. Syriza est fondé formellement en 2004 en vue des élections nationales de la même année et comporte, en plus de SYN, la «Gauche Communiste Écologique et Rénovatrice» issue du KKE-intérieur, «l’Organisation Communiste de Grèce», «la Gauche ouvrière internationaliste» (DEA) de tradition trotskiste, ainsi qu’une kyrielle d’autres petits groupes. Dépassant la barre des 3%, il réussit son entrée au parlement. En 2007, suite à une crise liée à d’anciens conflits datant parfois de la clandestinité et de la guerre civile, le président de SYN, Alekos Alevanos déclare qu’il fait lui-même partie de la vieille garde des divisions et guerres fratricides. Il choisit de démissionner pour faire de la place aux jeunes, qui introduiraient dans le mouvement des préoccupations antiracistes, féministes, LGBT, antimilitaristes et écologistes plus affirmées. Pour la direction du parti, il propose Alexis Tsipras, né en 1974, ingénieur de génie civil. Encore collégien, Tsipras avait milité dans l’organisation de jeunesse du KKE et dans le mouvement lycéen; plus tard, il fut membre de comité central de l’Union nationale des étudiants de Grèce (EFFE). A l’intérieur du SYN il assuma la charge de Secrétaire politique de la section jeunesse de 1999 à 2003.