Le mépris ne peut pas unifier le canton

Neuchâtel • La semaine dernière, le Grand Conseil neuchâtelois a largement adopté le projet du Conseil d’Etat sur la planification hospitalière dans le canton. Mais les divisions au sein de la population persistent.

Le Conseil d’Etat veut transformer l’hôpital de La Chaux-de-Fonds en Centre de Traitement et de Rédaptation et concentrer les soins aigus à Neuchâtel.

A en croire de nombreux médias ces dernières semaines, en acceptant la proposition du Conseil d’Etat pour l’Hôpital neuchâtelois (HNE), le Grand conseil devait «réunifier le canton». La semaine dernière, 87 députés contre 28 ont adopté ce projet consistant en un hôpital de soins unique centralisé à Neuchâtel et un Centre de Traitement et de Réadaptation (CTR) à La Chaux-de-Fonds. Le canton est-il sur la voie de l’unification pour autant? Ce n’est pas certain. Le peuple, qui se prononcera en février, devra choisir entre cette option centralisatrice et l’initiative qui demande de maintenir deux hôpitaux complémentaires dans le canton. Une partie des habitants ressent toujours une appréhension face au projet maintenant adopté par la majorité du Grand conseil, alors qu’une autre se réjouit qu’une solution mette fin à des années de tergiversations et est persuadée que la concentration des forces est une modernité incontournable.

En contradiction avec la loi approuvée
Les débats du parlement ont permis de constater que, quelle que soit la solution, le mépris ne peut pas unifier un canton. Celui-ci semble psychologiquement coupé en deux. Laurent Kurth, qui conduisait le dossier au nom du Conseil d‘Etat, et la direction d’HNE, n’ont pas voulu ou n’ont pas été capables de réunir autour d’une même table l’ensemble des partenaires. Ainsi, le projet du Conseil d’Etat n’est pas le résultat d’un travail regroupant tous les acteurs concernés. Les milieux qui ont une autre idée de l’organisation hospitalière cantonale sont toujours considérés comme défenseurs d’une sensibilité du 20e siècle.

Au cours du débat, les partisans de la centralisation ont constamment répété que le projet a nécessité deux ans d’études, 900 pages et un engagement collectif. La durée d’une étude et son nombre de pages ne peuvent pas à eux seuls justifier le sérieux du travail. La démarche collective n’a regroupé que des personnes partageant au départ l’objectif de la centralisation. Pratiquement, c’est le mépris qui ressort de ce dossier. Le déplacement de la maternité de La Chaux-de-Fonds vers le chef-lieu, avec la promesse d’un retour jamais concrétisé, la fermeture des soins intensifs, la suppression des salles d’opération durant les fins de semaine, l’incapacité de maintenir l’ophtalmologie, etc, sont autant d’actes qui laissent des traces durables dans les mentalités du haut du canton. Toutes ces décisions sont du reste en contradiction avec la loi sur l’Hôpital multisite pourtant approuvée par le peuple.

Un canton, un espace, une fiscalité
Au nom de la devise de l’actuel Conseil d’Etat: un canton, un espace, la concentration à Neuchâtel de toutes les activités hospitalières constitue un acte de rupture et non une liaison entre les Neuchâtelois. L’hypothétique construction d’un CTR dans le Haut ne dissipe pas la méfiance. Le regroupement défensif des habitants du Haut autour de leur hôpital constitue un acte de sauvegarde d’une institution qui fonctionnait parfaitement. Malgré les promesses de Laurent Kurth pour un avenir meilleur, la confiance entre la population du haut du canton et le gouvernement n’est pas rétablie. Des dégâts psychologiques marquent les esprits. Pour tenter d’y remédier, nous invitons le Conseil d’Etat à élargir sa formule: un canton, un espace, une fiscalité. Si cette proposition était acceptée, nous pourrions alors examiner avec la plus grande attention la réaction des communes les plus riches du canton. Accepteraient-elles cette mise en commun pour le bien-être de toute la population ou se lanceraient-elles dans une résistance de chapelles?

Rachat des bâtiments de l’Hôpital de La Chaux-de-Fonds
Le jour précédent les débats du Grand conseil, une annonce a causé une surprise: la proposition d’achat des bâtiments de l’Hôpital de La Chaux-de-Fonds par la Fondation Patrimonium et son accompagnement médical par la direction de l’hôpital du Jura bernois en créant un hôpital public. Cette intervention a causé diverses réactions au sein du monde politique. Certains, dont les socialistes, se sont empressés, dans un communiqué, de mettre en évidence que Patrimonium est lié à SMN (Swiss Medical Network) de Genolier, soulignant qu’il était curieux que des communes de gauche, Le Locle et La Chaux-de-Fonds, soient favorables à céder un hôpital au secteur privé.

Précisons que la Fondation, fondée en 2009, est dédiée aux placements collectifs des institutions de prévoyance suisses. Depuis août 2015, ce groupe de placement immobilier investit dans les immeubles du secteur de la santé ainsi que dans les établissements médicaux sociaux et résidences pour personnes âgées. L’ancien ministre jurassien Philippe Receveur, actuellement président de l’Hôpital du Jura, contacté par la RTS, imagine que la collaboration entre l’Hôpital du Jura bernois et les Montagnes neuchâteloises pourrait représenter le meilleur moyen pour servir la population concernée. Cette prise de positon a fortement irrité Laurent Kurth, qui y voit un partage en deux du canton par un ancien membre d’une autorité d’un autre canton. Dans sa réaction, le Conseiller d’Etat ne parle évidemment pas du partage du canton suite à la suppression de l’hôpital de La Chaux-de-Fonds!

A force d’être méprisées, il n’est pas étonnant que les villes du Haut aient imaginé avoir recours à une autre possibilité pour maintenir un hôpital pour leur population. Cette proposition mérite d’être examinée objectivement et démontre que des possibilités existent pour faire vivre un hôpital dans les Montagnes neuchâteloises. Lors du débat au Grand conseil, des députés ont demandé qu’elle soit étudiée, mais leur proposition a été refusée. Dans l’attente de la votation populaire, les fronts se préparent à la campagne.