Un peuple choisit son avenir

La chronique de Jean-Marie Meilland • L’Ecosse a connu ces dernières années une évolution rapide vers l’indépendance. Si le référendum de 2014 fut un échec relatif (55% de non), la tendance principale de la politique écossaise depuis une quinzaine d’années n’en a pas moins été un renforcement constant de l’idée nationale. L’instrument politique majeur de cette tendance est le SNP (Scottish National Party), un parti nationaliste de gauche en plein essor.

L’Ecosse a connu ces dernières années une évolution rapide vers l’indépendance. Si le référendum de 2014 fut un échec relatif (55% de non), la tendance principale de la politique écossaise depuis une quinzaine d’années n’en a pas moins été un renforcement constant de l’idée nationale (1).

L’instrument politique majeur de cette tendance est le SNP (Scottish National Party), qui, groupusculaire dans les années 1930, connut ses premiers succès électoraux dans les années 1970, alors que l’on découvrait du pétrole territorialement écossais dans la Mer du Nord, et qu’une importante renaissance culturelle se produisait. Un reflux survint pourtant dans les années 1980 et c’est depuis 2000 que le parti indépendantiste a connu un développement semble-t-il irrésistible. Il est important de noter que le SNP se réclame depuis longtemps d’un nationalisme civique inclusif (est Ecossais celui qui réside en Ecosse et adhère à ses institutions), et non d’un nationalisme ethnique excluant la population d’origine étrangère.

Pour comprendre cette progression, un certain nombre de facteurs doivent être mentionnés. D’abord l’idée nationale est bien ancrée en Ecosse: indépendant jusqu’en 1707, différent par son histoire, sa culture et son système judiciaire, le pays n’a jamais oublié sa spécificité même après la fusion avec l’Angleterre.

Ensuite, l’évolution vers l’indépendance est inséparable de l’accession, déjà réclamée depuis le milieu du XXème siècle, à une large autonomie, qui a été accordée en 1997 suite à un référendum. Cette «dévolution» a vu la restauration du Parlement écossais (approuvée par 74% des votants), dont un gouvernement est issu, et le transfert d’importantes compétences à Edimbourg, notamment dans l’éducation, les transports, la justice et la culture. Les domaines essentiels de la monnaie, de la sécurité sociale et de la fiscalité sont pourtant restés du ressort de Londres et pour l’application de leur politique, les autorités écossaises doivent toujours attendre les crédits alloués par Westminster. La dévolution fortement souhaitée par la population, et l’introduction d’un scrutin en partie proportionnel pour l’élection du Parlement écossais, ont favorisé le SNP.

De 35 sièges en 1999 (moins de 30 % des voix), le SNP est passé, après un recul en 2001, à 47 sièges en 2007, puis à 69 en 2011 (avec environ 45% des voix), pour connaître un léger tassement avec 63 sièges en 2016 (ce qui a permis au SNP de diriger le gouvernement écossais depuis 2007). Mais l’incontestable succès du SNP s’est manifesté de la façon la plus claire lorsqu’en 2015, juste après le refus de l’indépendance, le parti a remporté 50% des voix et 56 sur les 59 sièges au Parlement britannique, au scrutin majoritaire qui ne profite qu’aux partis les plus puissants.

Cette victoire s’est accompagnée d’un accroissement considérable du nombre des membres du parti (presque multiplié par 4 suite au référendum) et montre qu’il est soutenu non seulement par les indépendantistes, mais aussi par les partisans d’une autonomie accrue.

Un autre facteur important entre ici en considération: si le SNP s’est ainsi renforcé, c’est aussi parce qu’il a su occuper l’espace laissé à gauche par l’évolution sociale-libérale du Labour. En effet, durant la deuxième partie du XXème siècle, l’Ecosse était l’un des plus sûrs bastions travaillistes (entre 1945 et 2010, le Labour a oscillé entre 37 et 46% des voix, obtenant encore 41 sièges sur 59 au Parlement britannique en 2010). Ce parti, pendant des décennies, non seulement défendait les valeurs progressistes soutenues par un grand nombre d’Ecossais, mais soutenait en partie les revendications nationales. La fin du XXème siècle a vu l’économie écossaise durement éprouvée par la mondialisation néolibérale: fermeture des chantiers navals, des mines, des usines textiles.

Pendant ce temps, le Labour blairiste adoptait le libéralisme et poursuivait le démantèlement de l’Etat social et des services publics. Contrairement à l’Angleterre où le Labour semble s’être constitué une nouvelle clientèle, un grand nombre d’Ecossais est resté attaché aux institutions social-démocrates. Les dirigeants travaillistes écossais, contrôlés par Londres, n’ont pourtant pas suivi leur électorat. Et le SNP, que ce soit par opportunisme ou par conviction, s’est progressivement orienté vers le centre-gauche, inscrivant dans son programme le refus des coupes budgétaires dans le social et l’éducation, et la défense du service public. Il est clair que de nombreuses voix nationalistes viennent du Labour, et le SNP jouit d’ailleurs d’un certain soutien des syndicats. Il faut noter qu’après 2000, une gauche radicale également indépendantiste profita pendant un temps de la dérive libérale du Labour, mais qu’elle n’a pas pu maintenir ses positions par la suite (je compte en reparler dans une prochaine chronique).

L’épisode du Brexit a déclenché une nouvelle période d’effervescence en Ecosse. En effet, si le SNP, suite au rejet de 2014, avait déclaré renoncer à un nouveau référendum, il avait indiqué qu’une décision comme la sortie de l’UE, si l’Ecosse s’y opposait, justifierait une nouvelle consultation sur l’indépendance. Comme l’Ecosse a rejeté le Brexit à 62%, la première ministre Nicola Sturgeon a donc annoncé la tenue d’un nouveau référendum. Il y a de la part du SNP un fort préjugé favorable à l’égard de l’UE. On ne peut s’empêcher de penser que le mouvement national écossais mise sur le continent européen comme l’Ecosse médiévale tablait sur l’alliance française, et il est certain que l’appartenance à l’UE donnerait à Edimbourg un bon point d’appui pour faire face au Royaume-Uni. Quelques politiciens SNP relèvent néanmoins l’irréalisme d’une adhésion euphorique de l’Ecosse à l’UE quand on voit le traitement qu’elle a fait subir à la Grèce.

L’évolution politique actuelle de l’Ecosse soulève des enjeux d’un grand intérêt. La question posée est celle de savoir si, dans un contexte ultralibéral, un peuple peut encore opter pour un système davantage orienté vers le socialisme. Il est paradoxal que ce choix soit porté par un parti nationaliste, avec les faiblesses inhérentes à un mouvement interclassiste insistant (un peu béatement) sur les intérêts communs de tous les Ecossais. Ce sont les circonstances qui en ont décidé ainsi. Mais quoi qu’il en soit, le peuple écossais pourra toujours sanctionner le SNP s’il ne respecte pas ses engagements.

1) Sur la question, voir: Iain Macwhirter, Tsunami, Scotland’s Democratic Revolution, Freight Books, 2015.