«Je suis un dommage collatéral de dix ans de manque d’information»

Journée mondiale de lutte contre le Sida • David Moix, secrétaire de Vogay, association vaudoise pour la diversité sexuelle et de genre, vit avec le VIH depuis 2009. Il dénonce aujourd’hui une représentation faussée de cette maladie, restée associée aux terribles images des années 80 et 90.

Âgé de 38 ans, David Moix a vécu l’annonce de sa séropositivité comme un choc, avant de déconstruire la vision qu’il avait de la maladie.

Comment avez-vous vécu l’annonce de votre séropositivité?
David Moix Comme un choc. La première image qui m’a traversé l’esprit a été le visage de l’acteur américain Tom Hanks dans les 10 dernières minutes du film Philadelphia. Le visage de la mort. Le mois qui a suivi, j’ai perdu sept kilos. Je me suis retrouvé seul, sans figure d’identification positive. Je n’avais personne pour en parler. De plus, n’étant pas immédiatement sous traitement, je me savais infectieux et donc dangereux, toxique… Je me suis interdit toute relation durant un an, jusqu’au jour où j’ai rencontré une personne vivant avec le VIH depuis le début des années 90. Il m’a permis de déconstruire mes schémas de pensées erronés et d’accepter mon nouveau statut.

Quelles sont les contraintes que vous vivez en tant que personne séropositive?
Au niveau médical, cela se résume à la prise d’un cachet par jour et deux prises de sang par année. Je tolère bien mon traitement et n’observe pas d’effet secondaire. Au niveau social en revanche, je me retrouve souvent confronté à des représentations issues du début des années 90, loin de la réalité actuelle.

Depuis 6 ans maintenant que je prends quotidiennement mon traitement, ma charge virale est en dessous du seuil de détection (indétectabilité), je ne peux plus transmettre le virus. Je peux prendre la décision avec mon partenaire d’abandonner le préservatif sans risquer de l’infecter. Malheureusement, cette information est encore méconnue de la population, même si au sein de la communauté LGBT, grâce à la campagne #undetectable de l’Aide Suisse contre le Sida, lancée en début de cette année, elle commence à être assimilée, nous permettant ainsi d’aborder plus sereinement la thématique avec nos partenaires.

Y a-t-il d’autres contraintes?
Oui, Par exemple, il ne m’est pas possible de souscrire à une assurance complémentaire LAMal ou à une assurance vie, ceci bien que mon état de santé soit excellent et que mon espérance de vie ne soit plus diminuée par mon virus. Lors de la prise d’un nouvel emploi, certaines assurances peuvent aussi vous faire remplir un questionnaire de santé sur lequel vous devez indiquer votre séropositivité.

Enfin, il y a les contraintes psychologiques. Dès les premières minutes qui ont suivi l’annonce de ma séropositivité, médecins, institutions, associations, tous m’ont conseillé de taire ma situation et de faire attention à qui je souhaitais en parler. J’ai vécu dans la peur de la perte de maîtrise de cette information, à la limite de la paranoïa, m’imposant ainsi mes propres barrières. Barrières qu’il a fallu surpasser par la suite.

Vous parlez très ouvertement de votre séropositivité. Dans le but de témoigner et d’amener une prise de conscience?
Cela fait partie de mon cheminement personnel vers l’acceptation de mon statut. J’essaie aussi de devenir une figure d’identification positive pour les personnes concernées, et d’apporter une version plus actuelle de la réalité de vie avec le VIH. Depuis que je suis séropositif, j’ai obtenu un certificat d’assistant en gestion du personnel, le brevet fédéral de spécialiste en assurances sociales, tout en travaillant à 100%. Je trouvais encore le temps de participer à des actions de prévention dans les différents établissements LGBT, ainsi que 4 heures par semaine dans une salle de sport. J’ai même été jusqu’à participer à la Fisherman’s Friend Stongmanrun à Engelberg, en juin dernier, la course d’obstacle de 18 km considérée comme la plus folle de Suisse. C’est ça ma réalité de vie avec le VIH en 2016. Durant cette période, j’ai aussi vécu de belles histoires amour.

Il me paraît indispensable de changer la représentation que l’on se fait d’une personne séropositive. Car tant le test de dépistage sera pressenti comme une potentielle montée à l’échafaud, on ne parviendra pas à venir à bout de ce virus.

Il y a donc un manque d’information sur le sujet?
La prévention par la peur a été privilégiée par rapport à une prévention par l’éducation. Une grande partie de la phobie à l’égard des personnes séropositives a été occasionnée par cela. La notion d’indétectabilité est connue depuis 10 ans maintenant, mais aucun changement culturel n’a eu lieu. Et j’en suis un dommage collatéral. C’est à moi, qui suis confronté à mes partenaires, mes proches, ma famille, de déconstruire toute cette peur et informer de la réalité de vie avec le VIH en 2016.

Les autres personnes séropositives que vous connaissez ont-elles autant de facilité à parler de leur séropositivité?
Certaines ne voient pas l’utilité d’en parler. D’autres avouent ne pas oser faire le pas. Le VIH reste un tabou. Grand nombre de personnes séropositives vivent dans la peur du rejet et de la stigmatisation. Raison pour laquelle VoGay a mis sur pied, en collaboration avec le Checkpoint Vaud, «envih», un espace de parole où les personnes concernées peuvent partager sur leur parcours de vie avec le VIH. Afin de garantir l’anonymat, ces rencontres s’effectuent dans un espace neutre. De plus, la date et l’heure de ces dernières ne sont connues que par les participant·e·s. Je regrette toutefois que de telles précautions doivent encore être prises en 2016.

Je suppose que vous rencontrez passablement de jeunes, notamment via votre travail à VoGay. Comment réagissent-ils face à cette thématique et aux questions de prévention?

J’ai le sentiment qu’ils n’ont pas le même regard sur la thématique. Ils n’ont pas été éduqués à «SIDA = MORT», comme ma génération l’a été. J’ai du coup parfois l’impression que les fondamentaux (règles du safer sex, mode de transmission) font défaut ou ont mal été compris. Il me paraît important que ces jeunes soient informés de l’existence du Checkpoint et puissent acquérir rapidement le niveau de connaissances nécessaire qui leur permettra d’être responsables dans leur gestion de prise de risque.