Deux perles de la scène musicale romande

Musique • Michel Bühler publie son vingtième album «La vague», antidote à l’indifférence et à la morosité. Dans un tout autre registre, la chanteuse Laurence Revey sort son cinquième opus «Alpine blues et le blues des alpes».

Michel Bühler a remis l’ouvrage sur le métier pour nous proposer quinze chansons, textes et musiques. «Auteur, compositeur interprète», un métier qui se fait rare dans une industrie musicale formatée pour une consommation immédiate. Pour ce vingtième album, il a fait appel aux complicités de Gaspard Glaus, Laurent Poget, Stéphane Chapuis, Mimmo Pisino et Mathias Cochard pour un habillage musical qui colle à ses chansons. Michel Bühler nous revient, fidèle à lui-même, avec une volonté intacte de communiquer par la poésie et la musique. Dans ces temps livrés aux vents mauvais, ses chansons sont, une fois de plus, une forme d’antidote à l’indifférence et la morosité. De très beaux textes pour parler de notre monde, de notre quotidien proche ou lointain. Toujours et encore porter la parole de celles et ceux à qui on ne la donne pas.

Exclusion sociale et guerres oubliées
Nous avons plus que jamais besoin de poésie et de chanson. Pour parler par exemple de ce que l’on stigmatise habituellement par le terme «crise migratoire» avec la chanson «La vague», qui donne son titre à l’album. Une chanson pour dire encore et encore que celles et ceux qui fuient la guerre sont des femmes, des hommes et des enfants et pas juste des sujets de photographie de presse. Que s’ils fuient, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas d’autres choix pour survivre: «C’est une longue vague ample, lente profonde – Qui vient battre nos côtes et meurt sur les galets – Elle arrive de loin entendez-la qui gronde – Quelle force pourrait arrêter la marée? – Entassés sur le pont étouffant dans les cales – De vieux rafiots rouillés qu’un rien fera sombrer – C’est une foule immense d’humains tremblants et pâles – Qui s’offrent à la mort pour tenter d’exister.»

Une autre chanson pour dire aussi l’exclusion sociale avec «Les nouveaux pauvres», exclusion sociale à laquelle nous nous sommes presque habitués, avec une indifférence croissante. Deux chansons aussi pour porter la parole des victimes des guerres oubliées ou encore présentes dans les médias avec «Images de Syrie» et «Gaza, Eté 2014». Des chansons aussi porteuses d’espoir avec «Semez la vie» et une pointe d’humour et d’ironie pour «La chemise» et «les idées». Au final, quinze chansons pour refléter notre monde, et aussi, pour appeler à le changer. Un très bel album de Michel Bühler à offrir ou à s’offrir.

Un mélange d’ancestral et de moderne
Autre démarche chez Laurence Revey avec son cinquième album «Alpine blues et le blues des alpes». Laurence Revey s’était fait connaître sur la scène musicale avec l’album «Derrière le miroir» sorti en 1997. Elle en avait alors écrit et composé la plupart des chansons. Ses explorations musicales des chansons du patrimoine valaisan de son deuxième album lui avaient valu l’image de la chanteuse romande qui chante en patois valaisan, tout en modernisant le folklore. Laurence Revey est une artiste complète: comédienne, danseuse, compositrice, auteure, musicienne et surtout chanteuse. Elle refuse tout enfermement artistique. Elle est avant tout une incarnation physique de sa voix. Une voix travaillée pour en extraire une force et une énergie quasi magiques. Une voix qui vous emporte.

Pour cet album, elle a choisi de mêler sa voix au rythme des batteries (elle se produit sur scène avec la complicité de deux batteurs) et des boucles sonores. Un mélange d’ancestral et de moderne qui, au final, délivre une musique envoûtante. Dans ce cinquième album, elle traverse allègrement les langues, les frontières culturelles, les styles musicaux et les influences qui ont guidé sont parcours artistique.

L’album s’ouvre sur un instrumental vocal a capella, «enregistrement miraculeusement retrouvé». Elle poursuit avec une interprétation, toute de sobriété, de la chanson de David Bowie «The Man Who Sold the World». Lorsqu’elle a reçu l’autorisation d’interpréter cette chanson pour son album, elle était loin d’imaginer qu’elle deviendrait un hommage posthume. Gainsbourg fait aussi partie de ses classiques, elle avait déjà interprété «Requiem pour un con» sur son album précédent. Cette fois elle livre «sa» version en patois valaisan de «La Chanson du Forçat». Cette chanson était au générique du feuilleton télévisé Vidocq.

En patois valaisan

Un plus loin dans l’album, départ vers les terres d’Afrique. Laurence Revey, à ses débuts à Paris, a été choriste pour des groupes africains. «C’est parce que j’ai chanté les langues africaines que j’aurai l’idée plus tard, d’un titre en patois…». Elle offre ici une version lumineuse de «Makambo» de Geoffrey Oryema, un chanteur né en Ouganda qui a dû se réfugier en France en 1977 pour fuir la dictature d’Amin Dada. Une façon de rendre hommage à cette Afrique à qui nous devons tant.

Laurence Revey «habite» les chansons qu’elle interprète, qu’elles soient de sa composition ou écrites par d’autres. Elle joue de sa voix au fil des titres pour nous emporter avec elle dans un voyage émotionnel et musical. «Alpine blues et le blues des alpes» est une sorte d’itinéraire guidé à travers vingt ans de son travail, hors des autoroutes des musiques formatées. Cet album porte en sous-titre «Opus1&Origines». De quoi donc espérer bientôt un «Opus 2»…

Michel Bühler, «La vague», autoproduit, à commander directement sur www.michelbuhler.com
Laurence Revey, «Alpine blues et le blues des alpes», Rêve production. www.laurencerevey.com