Une politique délibérée des caisses vides?

Suisse • Depuis 35 ans, les réformes antisociales suivent de près les réformes fiscales, à un rythme effréné, constate l’ARTIAS (Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale). Coïncidence ou volonté délibérée?

Les lignes directrices du Conseil fédéral de 1999 à propos des finances fédérales indiquent que «la charge fiscale doit entraver le moins possible l’activité économique», ou encore que «le système fiscal doit être aménagé de manière à préserver et renforcer l’attrait de notre site économique». Une idéologie qui a guidé, depuis les années 80, de nombreuses réformes fiscales, dont la RIEIII, sur laquelle s’apprête à voter la population. Dans un dossier récemment actualisé, l’ARTIAS (Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale) s’interroge toutefois sur le rythme effréné des réformes fiscales et leurs conséquences, notamment en constatant leur coïncidence avec la diminution régulière des prestations sociales.

22 réformes fiscales depuis 1983
En 2011, alors que le Conseil fédéral annonce que les pertes liées à la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIEII) pour les finances publiques fédérales seront 10 fois plus élevées que ce qui avait été annoncé, Martine Kurth, secrétaire générale de l’ARTIAS, constate que les services sociaux cantonaux se préparent à faire face à un afflux de personnes qui se retrouveront bientôt en fin de droit au chômage, suite à la 4ème révision de la loi sur l’assurance chômage qui prévoit 622 millions de francs par an d’économies sur les prestations.

De même, aujourd’hui, alors que la population s’apprête à voter sur la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIEIII), qui pourrait coûter 3 milliards de francs aux collectivités publiques, les chambres fédérales étudient un projet de réforme de la prévoyance vieillesse ainsi que des prestations complémentaires (voir ci-contre).

«Cette concordance des temps n’est pas un phénomène unique ni anecdotique», souligne l’ARTIAS dans son dossier où elle a entrepris, suite à ces constats, de répertorier l’ensemble des réformes fiscales et des réformes sociales depuis les années 80 et de les mettre en parallèle. Elle se garde toutefois d’affirmer qu’il existe un lien direct de causalité entre des réformes dans le domaine fiscal d’une part et dans le domaine social d’autre part.

Dénombrant pas moins de 22 réformes fiscales (à la baisse ) et 15 réformes des assurances sociales (à la baisse également) depuis les années 80 – dont notamment 7 discussions relatives à la diminution des droits de timbre en 10 ans, et 5 réformes de la Loi sur l’assurance invalidité (LAI) en une vingtaine d’années – l’ARTIAS relève encore que «la vitesse à laquelle ces réformes s’enchaînent pose la question du recul avec lequel ces dernières sont pensées et appliquées».

A titre d’exemple, chaque projet de révision de la LAI intervient en général quelques mois après que le précédent ait été mis en œuvre. Un rythme qui laisse peu de temps notamment «pour analyser les conséquences sur d’autres systèmes tels que celui de l’aide sociale», constate l’association. En effet, si elle est en général présentée comme une façon de faire des économies, «chaque révision d’une assurance sociale provoque en fait un report de charges important sur l’aide sociale, c’est-à-dire sur les finances cantonales et communales», rappelle l’association, qui souligne encore que «les phénomènes d’exclusion créés par les réductions des prestations (ou le durcissement à leur accès) affectent la cohésion sociale, mettant ainsi à mal les bases du vivre-ensemble».

La course aux réformes se poursuivra
Malgré cela, l’enchaînement de réformes dans un rythme soutenu va probablement se poursuivre après la RIE III, «quel que soit son sort dans les urnes», estime l’ARTIAS, rappelant notamment que certains instruments permettant aux entreprises de baisser leur charge fiscale, telles que les droits de timbre et de la taxe au tonnage, ont été retirés de la réforme dans le but de les traiter séparément, par la suite. Du côté de la fiscalité des personnes physiques, en revanche, «les réformes ont été plus rares et plus lentes», constate encore l’association.

En l’absence de véritable réflexion, et face à cette politique qui semble foncer tête baissée, «la question se pose de savoir si certaines décisions ne visent pas à mener une politique dite des «caisses vides» (consistant à limiter ou à diminuer les recettes de l’État dans le dessein de creuser les déficits budgétaires et de justifier ensuite des réductions des prestations publiques) dans le dessein d’affaiblir l’Etat», s’interroge l’ARTIAS.