La féministe Eugénie Chiostergi Tuscher reste une source d’inspiration

Portrait spécial 8 mars • Retour sur le parcours d’Eugénie Chiostergi Tuscher, militante acharnée de la cause des femmes et l’une des premières élues, en 1963, au Conseil municipal de Genève.

Eugénie est née à Genève. Son père était Giuseppe Chiostergi, un Italien expatrié qui travaillait pour la Chambre de Commerce italienne en Suisse. Ayant perdu ce poste suite à la montée du fascisme dans son pays, il s’est fait engager comme enseignant d’italien au secondaire genevois. Il entretenait de bons contacts avec ses compatriotes immigrés et tentait d’organiser la lutte antifasciste depuis la Suisse. Eugénie a grandi dans un milieu familial très stimulant et s’est engagée tôt dans la vie politique. Elle fréquentait les militants du Parti du Travail, et c’est au Cercle marxiste qu’elle a fait la connaissance de son futur mari, Robert Tuscher. Les deux jeunes gens adhèrent au Parti du travail (PdT), une organisation à l’époque interdite et clandestine.

Cadre au syndicat VPOD
À la fin de la guerre, Eugénie accompagnée de son mari retourne en Italie, où elle occupe le poste de secrétaire de la fédération syndicale du textile de la région de Côme. Dans les années 50, les autorités italiennes ayant expulsé Robert à cause de ses opinions politiques, le couple retourne à Genève. Robert collabore durant de longues années à La Voix ouvrière (ancêtre de Gauchebdo) et assume d’autres tâches pour son parti. Eugénie reprend des études à l’Université de Genève, décroche une deuxième licence, suit les Études pédagogiques, et obtient un poste dans le secondaire genevois. À la VPOD, le syndicat de la fonction publique, c’est une cadre compétente et écoutée. En parallèle à ces engagements, Eugénie élève ses deux enfants.

Comme Nelly Wicky, elle fait partie des premières femmes élues au Conseil municipal de la Ville de Genève (1963-1979). Ses collègues gardent un excellent souvenir de cette députée brillante. À partir de 1964, Eugénie occupe des postes de direction à l’intérieur du PdT. Elle y amène régulièrement la thématique de l’immigration italienne et encourage ses camarades à s’engager contre le statut de saisonnier, en faveur du regroupement familial, pour la scolarisation des enfants clandestins, et de façon plus générale contre la xénophobie. Au besoin, elle organise la mobilisation pour empêcher une expulsion ou faire valoir les droits d’un travailleur.

Eugénie était une femme imposante au propre et au figuré. D’une taille de presque deux mètres, son corps bien équilibré dégageait volonté et énergie. Avec sa voix qui portait, et qu’elle savait moduler en fonction du contenu et des destinataires de son message, elle était admirée et crainte. Son origine sociale, son parcours professionnel et son implication dans la vie politique genevoise faisaient d’elle un élément important du PdT. Consciente de sa force, elle se permettait d’aborder des sujets plus ou moins tabous: le plaisir sexuel, l’homosexualité, le droit à l’avortement, la double oppression des femmes à la fois de classe et patriarcale.

Elle comprenait parfaitement les jeunes militantes du MLF, qui, par des actions spectaculaires, dénonçaient la violence spécifique dont elles étaient victimes, et approuvait pleinement leurs efforts de construire en dehors du mouvement ouvrier un mouvement de femmes autonome et indépendant. Elle organisait débats, rencontres et tables rondes. Aidée par des militantes comme Nelly Wicky, Marguerite Schlechten et Anne-Cathérine Menétrey, elle essayait de dissiper la méfiance de ses camarades de parti à l’égard des féministes et de les convaincre que la lutte de ces militantes est complémentaire à la lutte des classes.

Convaincre les hommes de gauche

Décédée en 1983, Eugénie était une militante féministe engagée et efficace. Elle luttait pour un mouvement de femmes large, unifié, démocratique et sans sectarisme. Elle voulait un féminisme débarrassé du sexisme et elle était persuadée qu’il fallait énormément travailler pour faire accepter ces idées par les hommes, ceux de la gauche inclus. «Vieille» militante appartenant à la génération qui avait combattu le fascisme, elle constituait un lien avec les luttes du passé et aidait les jeunes militantes à les prolonger.