La jeune photo au fil de regards féminins

Exposition • Autour de quatre axes programmatiques, l’engagement, le numérique, l’égalité des genres et l’écologie, reGeneration4 donne images à de juvéniles photographes suisses romandes.

La vague MeToo a favorisé la prise de conscience de contraintes et pressions multiples au sein du couple pouvant conduire à l’emprise et au viol. (Aline Bovard Rudaz)

Du conflit jurassien envisagé dans son environnement humain et géologique entre photos et vidéo (Soulèvements jurassiques) aux situations troubles au sein du couple autour de la notation de consente- ment actuellement en débat (Zone grise) en passant par un arpentage graphique et poétique en équilibres et jeux formel sur la perspective chez une ancienne circassienne devenue plasticienne et photographe (Perception, du vide à la forme). Etrange dans ses regroupements thématiques parfois aléatoires et son mode de sélection des travaux exposés par parrainage d’anciens lauréats, reGenera- tion4 a le mérite de donner expression à des figures photographiques quasi inconnues. Dont on ne sait quel sera le devenir au vu de la crise pandémique, sociale et environnementale notamment.

Conflits et paysages jurassiques

Cadrant des Indépendantistes et pro- Bernois, Soulèvements jurassiques de Léonie Marion opte pour des photographies-portraits «dans la lignée du portraitiste allemand August Sander» qu’elle admire pour son projet de typologie par l’image témoignant d’une diversité humaine. A 26 ans, l’artiste développe une photographie documentaire classique. Ici d’un membre cagoulé du Groupe Bélier, mouvement autonomiste de la jeunesse jurassienne. Là, de dos et profil, un militant du Groupe Sanglier ainsi que l’annonce son t-shirt. Telles des reliques saisies sur fond noir sortant d’un Musée pistant les traces d’un conflit remontant à 1947 sous sa forme contemporaine, l’œil croise crâne de bélier, bombe de peinture et chablon siglé Jura Libre.

Pour décliner ce théâtre de mémoires et identités toujours à vif. Au centre de l’installation pariétale au Musée de l’Elysée, une vidéo suit un lent parcours en contre-plongée au fil de l’encaissée vallée de Moutiers. De sa voix off, la jeune femme distille les fragments d’un essai dû au géologue Jean Thurmann paru en 1832. Convoquant les termes de «groupes opposés» et «fissures», le court film donne un contexte tellurique et géo- physique tant au politique qu’au social de la question jurassienne. Ce qui l’a marquée? «D’abord le territoire, une cuvette entre deux gorges. Puis les tags dans la rue témoignant d’un affrontement symbolique sur les murs.»

Consentement en question

Par une succession de six images noir blanc d’un couple silhouetté qui s’est réuni après rupture pour la série Zone grise, Aline Bovard Rudaz aborde le consentement au sein d’une relation conjugale. Vu comme un «problème systémique», la zone grise, ce sont toutes les pressions, hésitations et zones de flou qui peuvent entourer une personne et brouiller la «validité» de son consentement.

Si la dramaturgie paraît proche du ciné- roman et du story-board avec une réplique de l’un.e des protagonistes sous-titrant chaque image, le contenu est traité de manière volontairement ambiguë selon la photographe de 25 ans. «Ces images détiennent un réel potentiel à déclencher des réflexions et des débats sur le consentement sexuel dans le couple, qui est bien plus complexe que ce que l’on imagine», affirme-t-elle.

Le travail présente des captures d’écran sous-titrées d’une discussion filmée entre une amie de la photographe et son ancien compagnon. L’homme suggère ainsi que la relation sexuée découlerait d’une forme contractuelle non explicite et com- prise dans la réalité même du couple. Elle impliquerait une forme de disponibilité sexuelle chez son ex-compagne. Qui le conteste: «A ce moment-là, j’étais juste un corps, je ne participais pas… tu n’avais pas besoin que je sois présente».

Sans que le mot ne soit jamais prononcé, les victimes de viol conjugal ont du mal à nommer ce qui leur arrive, malgré un sentiment de malaise ou de souffrance. Evoquant cette zone grise, l’artiste explique: «Bien que ce concept soit souvent critiqué, car la confusion de la situation peut être détournée à l’avantage de l’agresseur, il a pour mérite de mettre en lumière la complexité du consentement, qui ne se résume pas à dire oui ou non.» Dans ses tirages, elle favorise «un ton continu, allant du blanc le plus pur au noir le plus profond, avec toutes les valeurs de gris intermédiaires qui deviennent métaphore de la zone grise.»

Abus conjugaux

Avec pertinence, la série aborde donc la réalité du viol conjugal. Celle-ci ne correspond pas à l’image du viol comme le fait d’un inconnu. «C’est toujours plus difficile de nommer le viol quand le bourreau est votre partenaire, ex-partenaire ou proche que quand il s’agit d’un inconnu. Pourtant, selon les statistiques, le violeur est dans la majorité des cas une connaissance de la victime.» Ainsi en France, 9 fois sur 10, la victime connaît l’agresseur et dans ce cas une fois sur deux, le violeur est le conjoint ou un ex-conjoint (Le viol conjugal, dir. Patrick Chariot). Et la femme d’images de conclure: «Je pense que le respect du consentement par la communication et l’écoute de son partenaire profiteraient aussi bien aux hommes qu’aux femmes.»

Informe et formes

Dessinant de petites performances instantanées en équilibre entre plusieurs postures corporelles et états de matières (solide, liquide, objet rigide à l’ombre sinueuse), les images plasticiennes signées de la danseuse auto- didacte et vidéaste, Jessie Schaer, 23 ans, impressionnent par leur géométrie finement architecturée (Perception, du vide à la forme).

Elles s’inspirent lointainement des performances du sculpteur de l’éphémère, Roman Signer, à travers ses actions-sculptures. Ainsi ce drap lancé des centaines de fois dans le ciel pour se métamorphoser en étrange fleur. S’y énonce une poésie surréaliste qui accroche le regard par la précision de sa syntaxe. Un corps vêtu de noir se fiche dans un endroit bétonné agencé en plusieurs courbes de modules. «C’est une tentative de remettre la 3D dans l’espace. J’ai ainsi reconstruit le module et volume en béton. Il y a donc saisie puis remodulation de ce qui est vu.» Les compositions déclinent tout un jeu sur les perspectives aplanies. Quant à l’abstraction, elle vise à désorienter le spectateur. La manière d’utiliser l’espace en photographie est l’interrogation première de cette série-installation. D’où le choix de lieux à l’esthétique minimale axée sur des matériaux bruts, le bois, les tissus, accompagnant le corps graphique de l’ex circassienne au visage dissimulé.

reGeneration4. Jusqu’au 27 septembre. Musée de l’Elysée. Lausanne. www.elysee.