«Des crimes couverts dans des proportions incroyables»

Interview • Rencontre avec François Devaux, président de l'association La Parole Libérée.

Quelles sont les lignes forces de l’action de La Parole libérée?

François Devaux: Nous avons essayé de réaliser le travail le plus exhaustif possible sur la problématique de la pédophilie en France. Et de leurs réponses institutionnelles faites ou non, voire incompétentes. Une tentative de jalonner le périmètre de ce sujet, en aidant à la prise de conscience de ces crimes et abus au plan sociétal. Ceci en termes de souffrances d’une population, d’incidences pour la santé publique, de coûts élevés pour l’ensemble de la société. D’où la formulation d’éléments concrets à réformer et mettre en place d’urgence. Ainsi la création d’un Observatoire national pour analyser et enrayer cette pandémie de la pédocriminalité. Si toutefois les autorités publiques comptaient réellement com- battre ce fléau. Ce n’est pas le cas.

Ce qui vous importe le plus?

Pour l’église, c’est la notion de responsabilité collective face au fléau de la pédophilie. Au-delà du déni, c’est le maintien d’un silence favorisant une impunité systémique. On parle ici de crimes sur enfants commis et couverts dans des proportions proprement incroyables. Jouant avec des complicités, une permissivité et les législations de différents Etats, l’on génère des souffrances sur des décennies menant à des destructions et traumatismes psy- chiques ainsi que physiques lourds, pro- fonds. Et à des suicides parfois. Une famille et des parents aimants comme je les ai connus sont des éléments essentiels pour se reconstruire. Mais selon le Ministre public, 20’000 plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Là est un autre scandale, le relatif désintérêt de l’Etat français et ses réformes législatives creuses pour com- battre ces crimes et abus.

Qu’est ce qui caractérise l’Eglise face aux abus sexuels sur mineurs?

Au-delà de l’ampleur exceptionnelle du phénomène, c’est la couverture de ces crimes qui constitue l’attitude plus importante au sein de l’institution religieuse relativement à d’autres institutions. Ce que soulignera Le Livre blanc en forme de bilan de l’action de La Parole libérée à paraître en 2021.
Dans l’église, la question de l’exercice du pouvoir est intégralement à refonder. Au sein d’un diocèse, l’omnipotence et la surpuissance d’un archevêque/évêque lui fait jouer à la fois plusieurs rôles : procureur, juge, chef spirituel, directeur de conscience, responsable RH et financier. C’est un fonctionnement monarchique. Si l’on ajoute l’image sacrée du prêtre, du clerc, vicaire du Christ, cela fait beaucoup.

Mais encore.

Face à un système défaillant comme l’a été la Monarchie française, on écrit une Constitution. D’où la mise en place d’un équilibrage dans l’exercice du pouvoir. C’est ce que l’Eglise se refuse résolument à réaliser. Des sujets de théologie sont à réviser aussi. Tant que sera condamnée la masturbation pratiquée par le seul mineur tout en déplaçant des prêtres pédophiles, les sanctionnant légèrement, refusant de leur retirer la prêtrise, il y là un vrai problème de fond.
Tout le droit canonique est à revoir. Du moment où l’on souhaite soumettre à la justice, des éléments fondamentaux à respecter. Ceci en termes de transparence, d’impartialité, de débat contradictoire ou de contrôle externe inexistant pour l’église, porte ouverte aux excès et dérives. Il faut que la victime ait accès à son dossier. Ainsi pour le Père Preynat réduit à l’état laïque, nous n’avons pu consulter la décision de justice canonique.