Les crimes systémiques de l’église catholique

Pédophilie • «Grâce à Dieu» de François Ozon est en création et tournée romande. La pièce est basée notamment sur le témoignage de François Devaux, fondateur de La Parole libérée, association française de victimes d’actes pédocriminels du Père Preynat.

Témoignages révélateurs autour de crimes sexuels sur enfants commis par Bernard Preynat dans «Grâce à Dieu» de François Ozon, mise en scène par François Marin. Photos: Mercedes Riedy

En 2018, le film Grâce à Dieu de François Ozon met en lumière l’affaire Bernard Preynat, prêtre pédophile ayant perpétré des agressions et crimes sexuels sur des mineurs et l’inaction de sa hiérarchie alertée à maintes reprises, dont le Cardinal Philippe Barbarin. Entre thriller, travail documentaire et tourments intimes, la pièce tirée du long métrage est mise en scène par François Marin.

Trois hommes croyants à l’époque, Alexandre, François (Devaux) et Emmanuel, mettent en cause le Père Preynat pour ses actes assimilés à des viols – attouchements, masturbations et fellations forcés, sodomies – perpétré sur enfants entre 1972 et 1991, lors de l’organisation de camps scouts. Le religieux a reconnu les faits. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme en mars 2020. Une sentence dont il a fait appel.

Echos multiples et église en péril

Pour les victimes, les répercussions et conséquences du mal subi s’étendent à la famille et autres proches et impactent sur plusieurs générations. Mise en cause, la hiérarchie de Preynat savait et n’a que peu fait. Son plus haut supérieur, le cardinal Philippe Barbarin a été relaxé le 20 janvier dernier. Une décision dont les parties civiles ont fait appel. L’ex-primat des Gaules publie cet automne son récit, En mon âme et conscience. Il confesse «prier pour les victimes», comparant son «martyre» subi d’accusé face au «tsunami médiatique» à celui de Christ. Avant de louer «l’attitude déterminée de Benoît XVI» permettant que «les portes soient ouvertes et que la vérité puisse être dite telle qu’elle est».

Faux, s’insurge François Devaux, victime de l’ex-Père Preynat. Il sou- ligne que nulle victime d’actes pédophiles n’a été reçue par le Pape. Ceci malgré de multiples demandes et requêtes. Sous pression, subissant une hémorragie historique de fidèles et soutiens, le Vatican mènerait une opération de communication. A coup de messages et lettres pontificaux, de manuels de conduite. Tout cela n’a jamais été à la hauteur concrète des enjeux de justice, de transparence, de réparation et de réforme du droit canonique selon Devaux.

Une Commission indépendante saluée

L’homme insiste sur les mensonges et le déni de celui qui a toujours le titre d’archevêque, Philippe Barbarin. Ce dernier avait confirmé Preynat dans sa prêtrise «en toute connaissance de cause». Au moins 3’000 mineurs – chiffre largement sous-estimé selon certains spécialistes – ont été victimes d’actes pédophiles au sein de l’église catholique depuis 1950, a révélé la Commission indépendante sur les abus sexuels sur mineurs dans l’église catholique (Ciase) le 17 juin dernier. Saluée par François Devaux, cette commission a été mise en place par la Conférence des évêques de France en 2018. Ces chiffres provisoires proviennent d’une première remontée d’enquêtes menées auprès des archives de diocèses et de congrégations religieuses.

Pulloff Théâtres, Lausanne., 27 oct. au 15 nov. et tournée romande. Théâtre de Valère, Sion, 18 nov. à 20h. Théâtre des Osses, Centre dramatique fribourgeois, Givisiez, 5 au 20 déc. Rens: www.compagniemarin.ch

« Grâce à Dieu » de François Ozon.                                                                           Photo Mercedes Riedy

«Des crimes couverts dans des proportions incroyables»

Quelles sont les lignes forces de l’action de La Parole libérée?

François Devaux: Nous avons essayé de réaliser le travail le plus exhaustif possible sur la problématique de la pédophilie en France. Et de leurs réponses institutionnelles faites ou non, voire incompétentes. Une tentative de jalonner le périmètre de ce sujet, en aidant à la prise de conscience de ces crimes et abus au plan sociétal. Ceci en termes de souffrances d’une population, d’incidences pour la santé publique, de coûts élevés pour l’ensemble de la société.

D’où la formulation d’éléments concrets à réformer et mettre en place d’urgence. Ainsi la création d’un Observatoire national pour analyser et enrayer cette pandémie de la pédocriminalité. Si toutefois les autorités publiques comptaient réellement combattre ce fléau. Ce n’est pas le cas.

Ce qui vous importe le plus?

Pour l’église, c’est la notion de responsabilité collective face au fléau de la pédophilie. Au-delà du déni, c’est le maintien d’un silence favorisant une impunité systémique. On parle ici de crimes sur enfants commis et couverts dans des proportions proprement incroyables. Jouant avec des complicités, une permissivité et les législations de différents Etats, l’on génère des souffrances sur des décennies menant à des destructions et traumatismes psychiques ainsi que physiques lourds, profonds. Et à des suicides parfois.

Une famille et des parents aimants comme je les ai connus sont des éléments essentiels pour se reconstruire. Mais selon le Ministre public, 20’000 plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Là est un autre scandale, le relatif désintérêt de l’Etat français et ses réformes législatives creuses pour combattre ces crimes et abus.

Qu’est ce qui caractérise l’Eglise face aux abus sexuels sur mineurs?

Au-delà de l’ampleur exceptionnelle du phénomène, c’est la couverture de ces crimes qui constitue l’attitude plus importante au sein de l’institution religieuse relativement à d’autres institutions. Ce que soulignera Le Livre blanc en forme de bilan de l’action de La Parole libérée à paraître en 2021.

Dans l’église, la question de l’exercice du pouvoir est intégralement à refonder. Au sein d’un diocèse, l’omnipotence et la surpuissance d’un archevêque/évêque lui font jouer à la fois plusieurs rôles: procureur, juge, chef spirituel, directeur de conscience, responsable RH et financier. C’est un fonctionnement monarchique. Si l’on ajoute l’image sacrée du prêtre, du clerc, vicaire du Christ, cela fait beaucoup.

Mais encore.

Face à un système défaillant comme l’a été la Monarchie française, on écrit une Constitution. D’où la mise en place d’un équilibrage dans l’exercice du pouvoir. C’est ce que l’Eglise se refuse résolument à réaliser. Des sujets de théologie sont à réviser aussi. Tant que sera condamnée la masturbation pratiquée par le seul mineur tout en déplaçant en d’autres lieux ou fonctions des prêtres pédophiles, les sanctionnant légèrement, refusant de leur retirer la prêtrise, il y là un vrai problème de fond.

Tout le droit canonique est à revoir. Du moment où l’on souhaite soumettre à la justice, des éléments fondamentaux sont à respecter. Ceci en termes de transparence, d’impartialité, de débat contradictoire ou de contrôle externe inexistant pour l’église, porte ouverte aux excès et dérives. Il faut que la victime ait accès à son dossier. Ainsi pour le Père Preynat réduit à l’état laïque, nous n’avons pu consulter la décision de justice canonique.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet
Site: www.laparoleliberee.fr