Le fanatisme religieux

La chronique féministe • Il est aussi insensé de tuer au nom d’Allah ceux qui défendent la liberté d’expression que d’interdire l’avortement au nom de Dieu.

Vendredi 16 octobre, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, 47 ans, père de famille, a été décapité près de son collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (au Nord-Ouest de Paris). Le 5 octobre, il avait traité de la liberté d’expression dans une classe de 4e et montré, pour illustrer son cours, deux caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo (le procès se tient en ce moment contre les responsables de l’attentat du 7.1.2015*). Auparavant, il avait pris soin d’inviter les élèves musulmans à sortir de la classe s’ils ne souhaitaient pas voir les dessins. Une polémique est née dans le préau, des parents s’en sont mêlés. Certains ont parlé d’erreur, d’autres étaient plus vindicatifs. Dès le 7 octobre, le père d’une des élèves publiait, sur son compte Facebook, un récit des faits et appelait à la mobilisation contre l’enseignant, en vue de son exclusion; le 12 octobre, il désignait nommément le professeur et donnait l’adresse du collège, incitant à «dire stop».

L’assaillant, tué par la police après l’attaque, a été identifié comme Abdoullakh Anzorov, un Russe tchétchène de 18 ans, réfugié en France avec sa famille. Il était connu pour des antécédents de droit commun mais pas pour radicalisation. Il avait le statut de réfugié et habitait à Evreux (Eure), en Normandie. 15 personnes étaient en garde à vue lundi soir, dont les parents, le grand-père et le petit frère de l’assaillant, le père de l’élève qui a appelé à la mobilisation contre l’enseignant, 4 élèves, Abdelhakim Sefrioui, activiste islamiste. L’enquête devra notamment déterminer s’il y a un lien entre la polémique liée à ce cours et le crime commis.

Un millier de personnes se sont recueillies samedi après-midi devant le collège du Bois d’Aulne. Le professeur, connu pour son investissement auprès de ses élèves, était apprécié. Dans la matinée, des roses blanches ont été déposées à l’entrée du collège de ce quartier pavillonnaire, où élèves et parents sont en état de choc. D’importantes manifestations de soutien ont eu lieu dimanche à travers le pays. Un hommage national sera rendu mercredi à ce professeur d’histoire-géographie, a annoncé l’Elysée.

En Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, Brenton Tarrant commet des attaques terroristes d’extrême droite contre deux mosquées de la ville de Christchurch, qui font 51 morts et 49 blessés. Il s’agit de la tuerie la plus meurtrière commise spécifiquement contre des musulmans dans un pays occidental et l’attentat d’extrême droite ayant causé le plus de victimes depuis ceux d’Oslo et d’Utoya en 2011 (77 morts). Le jour de son assaut, Tarrant publie un manifeste de 74 pages intitulé«Le grand remplacement», dans lequel il déplore l’expansion de l’islam et un «génocide blanc». Pendant 17 minutes, il diffuse son action en direct sur les réseaux sociaux. Le 27 août 2020, il est condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle.On peut mettre ces deux attentats dos à dos, même si l’un a provoqué beaucoup plus de morts que l’autre. Chaque fois, il s’agit d’un acte de haine contre des gens différents, qui ne pensent pas comme celui qui se transforme en terroriste.

Les musulmans extrémistes agissent comme si leur religion, l’islam, était la seule valable et se situait au-dessus des autres, voire de l’Etat de droit. L’Eglise catholique, qui s’affirme «universelle» et «seule légitime et authentique Eglise du Christ», a commis, dans son histoire, des crimes contre les gens et les peuples qui pensaient différemment. Elle a été antisémite, provoquant des milliers de victimes, jusqu’au concile Vatican II à la suite de la Shoah. Elle a tué les dieux des autres religions sur toute la planète: des millions de morts. Les croisades et les guerres dites saintes ont entraîné des milliers de martyrs. Pendant les 6 siècles que dura l’Inquisition, elle a torturé et brûlé des milliers d’innocents, et fit pendant 2 siècles une chasse aux sorcières, torturant et brûlant 100’000 femmes. Elle a contribué au colonialisme en Amérique et en Afrique, qui causa des millions de décès. La liste n’est pas exhaustive. Tout cela au nom de Dieu, ses représentants étant persuadés qu’eux seuls détiennent la Vérité.

La logique «ma religion est la meilleure, les autres sont dans l’erreur» est de la même manière en action dans les lois anti-avortement. L’interdiction de l’avortement est la règle pour l’islam, le christianisme et le judaïsme, avec des nuances. L’Eglise catholique considère l’ovule fécondé comme un être humain, avorter est donc assimilé à un crime à tout moment de la grossesse. Pour le judaïsme, au contraire, l’embryon devient une vie humaine à partir du 40e jour, le recours à l’IVG avant cette date est donc toléré. Les positions de l’islam varient selon les pays, l’avortement est interdit, ou toléré jusqu’au 40e jour, voire jusqu’au 120e. Les trois religions sont plus souples lorsque le foetus met en danger la vie ou la santé mentale de la future mère.

Aux USA, les Républicains opposés à l’avortement n’ont de cesse de nommer, dans les cours de justice des Etats, des juges qui le condamnent. Au lendemain de la mort de Ruth Bader Ginsburg, le 18.9.20, sans attendre les résultats de l’élection du 3.11, Trump cherche à précipiter la nomination d’une juge réactionnaire à la Cour suprême: Amy Coney Barrett, 48 ans, mère de 7 enfants, dont 2 adoptés, fervente catholique et farouche opposante à l’avortement. Aux USA, l’IVG n’est pas une loi mais un jugement de la Cour suprême, Roe v. Wade de 1973, confirmé en 1993. Jusqu’à la fin du premier trimestre, la décision est laissée au jugement de la femme enceinte. Mais 28 Etats américains imposent des restrictions à l’accès à l’avortement. Plusieurs autres (Géorgie, Ohio, Louisiane, Mississippi, Kentucky, Iowa et Dakota du Nord) durcissent leur législation en 2019.

Celles et ceux qui s’opposent à l’avortement le font au nom d’une religion que ne partage pas nécessairement la femme qui veut avorter, au mépris de sa liberté, et sans se préoccuper de ce que deviendra l’enfant non désiré. Il est aussi insensé de tuer au nom d’Allah ceux qui défendent la liberté d’expression que d’interdire l’avortement au nom de Dieu. Je ne comprendrai jamais qu’on puisse mettre en parallèle une femme adulte et un embryon de 3 cm et 11 g à la 8e semaine. C’est le même fanatisme religieux qui est en jeu.

* Au total, la vague d’attentats perpétrés en France depuis janvier2015 a fait 258 morts. Selon le ministère de l’Intérieur, la menace terroriste y reste, 5 ans plus tard, à un niveau extrêmement élevé.