La dignité ouvrière mise à mal

Vaud • Licencié en juin 2019 sous des motifs fallacieux, un délégué syndical a rendez-vous aux prud’hommes cette semaine. Pour défendre la dignité et les droits des travailleurs.

Non réintégré dans son entreprise, Mickaël Béday a dû changer de métier, devenant éducateur. (DR)

La révolte et l’indignation habitent encore Mickaël Béday de l’entreprise de composants d’horlogerie Dubois Dépraz au Lieu (Vaud). L’homme rappelle qu’aucune réintégration n’est prévue en Suisse pour des représentants du personnel licenciés pour leurs activités syndicales. «Même si je n’ai pas forcément confiance en la justice bourgeoise et que je pourrai obtenir au maximum 6 mois de salaire, je vais avant tout aux prud’hommes d’Yverdon-les-Bains pour défendre des principes et les travailleurs dont l’expression de lutte légitime est muselée».

Syndicaliste et pas cache-misère

Pour lui il est important de lutter jusqu’au bout pour les libertés syndicales. «Mais aussi de dénoncer le rapport de forces existant au bénéfice exclusif des patrons. Nous sommes des travailleurs, pas des marchandises. On a le droit de se battre pour sa dignité». Il avoue n’avoir pas compris «qu’être délégué syndical aux yeux des patrons, c’est aller dans leur sens».

Le constat est sans appel: «Ils ne veulent pas de syndicaliste, qui revendique ou essaie d’organiser les travailleurs. Le patronat accepte la présence syndicale et des délégués uniquement si ces derniers accompagnent la misère.» A ses yeux, la seule réponse est «lutter, de manière unie et collective, pour ses droits et son salaire ainsi que pour ceux de ses collègues.»

Horloger et diplômé horloger-rhabilleur, Mickaël Béday a commencé à travailler en 2013 chez Dubois Dépraz. Cette entreprise de composants compte 340 collaboratrices et collaborateurs répartis sur quatre sites, trois à la Vallée de Joux et un à Arch dans le canton de Berne. Devenu délégué syndical en 2017, il se bat sur tous les fronts. En 2018, il intervient pour demander le respect de la CCT sur les heures supplémentaires et obtient que les travailleurs le souhaitant puissent les reprendre en congé.

En 2019, il demande que les heures non travaillées en raison du déménagement d’un atelier soient rémunérées. Deux mois plus tard, il écope d’un avertissement de la direction pour avoir livré deux pièces défectueuses.
«J’ai raté deux pièces, mais cela n’était pas intentionnel. Tout le monde peut faire des erreurs, d’autant plus que j’avais été félicité lors de la dernière évaluation de mon travail sur les six premiers mois de 2019», explique-t-il. Précédemment, le délégué syndical avait déjà reçu un autre avertissement en février 2018 pour ses activités syndicales. La direction avait dû le retirer un mois plus tard suite à l’intervention du syndicat UNIA. Mais la cabale était lancée.

Viré pour syndicalisme

Pour les syndicats comme Unia, ces accusations servaient surtout à cacher le motif antisyndical du licenciement. «A la veille de la négociation du renouvellement de la convention collective de l’horlogerie, ce licenciement constitue une attaque frontale contre le statut de délégué syndical, la liberté syndicale et notre capacité en tant que travailleurs de nous organiser. Chaque fois qu’un délégué syndical est licencié pour son activité, la défense de nos droits et de nos conditions de travail s’affaiblit lourdement au profit du patronat», relevait ainsi l’appel à la manifestation du 8 juillet 2019 devant le siège de l’entreprise.

A cette occasion, plus de cent personnes ont réclamé la réintégration de Mikael Béday. «La direction avait interdit aux collègues de la boîte de sortir et de parler aux journalistes sous peine d’être licencié sur-le-champ, nous voyons ici tout le respect que porte l’entreprise pour les syndicats et les travailleurs», se souvient-il.

Reconversion et protection adéquate

Mais de réintégration, aucune. «J’ai dû arrêter mon métier, parce que j’étais blacklisté. Je suis reparti dans une formation d’éducateur, à mes frais. Ce qui m’a causé des difficultés financières. Elles ont été surpassées grâce à l’aide de ma famille», souligne-t-il. Une reconversion menée sans regret au vu de la détérioration des conditions de travail dans le secteur horloger. «L’horlogerie est marquée par une forte intensité de travail. Celui-ci est de plus en plus séquencé et tributaire des machines, alors qu’avant on réalisait une montre de A à Z. La production est amplifiée, mais les salaires stagnent. Dans les ateliers, tout le monde a ses écouteurs et il est interdit de parler. Petite anecdote, nous devons même badger pour aller aux toilettes! Je connais beaucoup de personnes diplômées, qui ont arrêté le métier», souligne-t-il. Et la crise du Covid-19, qui plombe les ventes à l’international, ne devrait pas améliorer les choses.

«Bien que le Suisse ait ratifié la Convention 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT), stipulant que les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi, on est encore loin du compte. Ma démarche aux prud’hommes ainsi que tout autre combat pour la défense des libertés syndicales doivent imposer que la Suisse respecte les conventions de l’OIT. Et cela ne peut se faire que par la mobilisation des travailleurs pour créer un véritable rapport de force», conclut-il.