Un bouquet pour la Saint-Valentin

La chronique féministe • Je vous propose, pour une fois, une chronique toute douce, toute tendre, à utiliser le 14 février, jour de la Saint-Valentin: dire «je t’aime» dans différentes langues.

Dans cette période morose, où l’on n’ose plus se tendre la main, s’embrasser, se réunir à plus de cinq, aller aux spectacles ou aux rencontres sportives, où les restaurants sont fermés, ainsi que les librairies et les musées, où le port du masque nous transforme en zombies, je vous propose, pour une fois, une chronique toute douce, toute tendre, à utiliser le 14 février, jour de la Saint-Valentin: dire « je t’aime » dans différentes langues.

Le français «je t’aime» me semble particulièrement adapté à la chose, avec la consonne fricative «j» qui se glisse vers l’autre, affirme d’entrée de jeu sa position de sujet, avant l’objet, élidé, pour faire de la place au locuteur, à la personne qui exprime son sentiment. Le «ai» ouvert transcrit l’émerveillement devant l’amour et la nasale «m» finale enserre le mot, le sentiment, l’autre dans un baiser prolongé.

L’anglais «I love you» commence par le sujet, qui dit d’abord «aïe», annonçant la souffrance à venir. Le verbe se love entre deux voyelles doubles qui l’adoucissent. Il a tant été utilisé par la publicité (I love New York, Londres, le thé, les espaces non-fumeurs, etc.) qu’il a perdu de sa force. Le «I» suivi d’un coeur nous ferait aimer n’importe quoi, n’importe qui, n’importe où. Mais ici, c’est «you», vous ou toi, en ce moment où nous sommes seuls au monde, comme tous les amoureux. La phrase semble danser, avec légèreté, comme si l’anglais voulait se dédouaner de sa déclaration.

L’allemand «Ich liebe dich» est une caresse de bout en bout. Les trois mots sont déposés dans l’ordre logique sujet, verbe, complément, comme en anglais. La douceur du «ch» initial se poursuit par la liquide «l», la longueur du «i» dû à la présence du «e», par la consonne labiale «b» et le tendre «e» final du verbe; «liebe» apparaît ainsi tout en douceur et conduit au complément «dich». Le «d» est adouci par le «i» et surtout le «ich» qui survient en écho à celui du début, comme si le sujet appelait l’objet qui, à son tour, appelait le sujet. La phrase est construite en boucle, les deux protagonistes, mis sur pied d’égalité, se répondent en miroir. La réponse «moi aussi» est superflue puisque le «dich» reprend le «ich». Il suffit d’inverser les pronoms qui, tous deux, annoncent les caresses futures.

En russe: «ya lioubliou tieba» ou «ya tiebia lioubliou». On peut donc inverser le verbe et le complément, ce qui donne plus ou moins d’importance à la personne aimée, mais le sujet s’affirme en premier. La voyelle «i» est omniprésente dans cette déclaration. L’assonance traduit l’insistance du sentiment. Dans le verbe, le «i» est par deux fois précédé de «l» et suivi de «ou», comme deux entités que la douceur du «b» relie. Les sonorités de «lioubliou» ressemblent aux gazouillis que les adultes susurrent aux oreilles des bébés, dans toutes les langues. C’est tendre comme l’enfance.

Le grec dit «s’agapo» ou «s’agapao». La déclaration commence par l’objet, également élidé, pour faire place au verbe. Sa terminaison indique le sujet, qui survient à la fin. C’est l’objet du désir qui compte le plus. Et l’on peut prolonger la forme verbale «ao» pour insister sur ce présent ineffable. Je la trouve plus douce que la finale «o», comme si l’on voulait se débarrasser au plus vite du poids de la déclaration. Le son «ao» imite le miaulement du chat, le feulement du fauve, annonce la sauvagerie de l’étreinte à venir…

L’italien «ti voglio bene» place aussi l’objet au début, lui conférant toute sa place. Le verbe ne signifie pas «aimer» mais «vouloir», je te veux, une expression de propriétaire, même si elle est adoucie par «bene», bien, je te veux du bien. Une façon détournée de dire son amour, un chemin de traverse pour qui n’ose pas affronter son propre sentiment, voire celui de l’objet aimé. On est d’abord confronté au désir de celui qui se déclare, à la notion de possession. La déclaration se termine sur ce «bien» ambigu, et laisse suggérer un «c’est bien» que penserait le locuteur de la situation.

L’espagnol «te amo» (comme en latin) ou «te quiero» commence également par l’objet, suivi du verbe, la terminaison indiquant la première personne du singulier. Le «o» final, affirmatif, peut représenter l’étonnement devant son propre sentiment, comme devant la personne qui le suscite. «Te quiero» signifie «je te veux»: on est au pays du machisme.
En catalan, on dit «t’estimo». Il est réjouissant de constater que le catalan parlant d’amour insiste sur la notion d’estime.

Le portugais «amo-te», semble vouloir se distinguer de l’espagnol: on intervertit le verbe et le complément, en y ajoutant un trait d’union, censé lier les protagonistes.

En provençal mistralien, on dit «t’ame», expression proche du français mais sans le sujet, qui fait penser à un SMS.

Plusieurs langues ont une forme différente si le locuteur est une femme ou un homme: l’arabe, l’assyrien, le berbère, le corse, l’hébreu, l’hindi, le khmer, le slovène, le tchétchène, le thaï, le vietnamien, notamment.
Enfin, certaines utilisent le verbe «adorer» qui, à l’origine, signifiait «rendre un culte à une divinité». Peu à peu, il a pris le sens de «aimer d’un amour passionné». Attention à l’incendie! L’anglais, si retenu, dit «I adore you», l’italien «ti adoro», le roumain «te ador». Une preuve de plus que les langues indo-européennes ont des racines communes.

On peut trouver d’autres traductions du plus beau des verbes sur Internet en tapant: «Je t’aime dans toutes les langues». Avec ça, vous aurez l’embarras du choix pour vous déclarer. André Gide prétendait: «Le plus grand bonheur, après que d’aimer, c’est de confesser son amour.»

Bonne fête de Saint-Valentin.