Bolsonaro ou le chaos pandémique

Brésil • La gestion présidentielle de crise est à nouveau mise en cause alors que le système hospitalier est au bord de l’effondrement.

Jair Bolsonaro, sa stratégie du pire et du déni lui vaut le qualificatif de pandémicide développant une politique eugéniste. (Isac Nóbrega/PR)

D’après l’université américaine Johns Hopkins (JHU), la moyenne mondiale sur une semaine des nouvelles contaminations quotidiennes au SARS-CoV-2 a atteint un pic, avec 738’686 cas au 11 janvier. Depuis, la propagation ralentissait significativement pour la première fois, jusqu’à tomber à 358’335 cas, le 20 février. Elle est désormais repartie à la hausse, atteignant à 390 mille nouveaux cas quotidiens en moyenne sur 7 jours, le lundi 8 mars. Si les situations en Italie, Autriche, Grèce ou Hongrie affrontant une 3e vague inquiètent, celle du Brésil laisse un sentiment d’effroi. Comme ailleurs, le rôle joué par de nouveaux variants du virus sur la dynamique de l’épidémie reste débattu dans la communauté scientifique, a contrario, celui de la gestion de la crise par Jair Bolsonaro, laisse peu de place au doute.

Cataclysme

Le 3 mars dernier, une alerte se profile via les réseaux sociaux. Le Docteur en épidémiologie et santé publique d’Harvard, Eric Feigl-Ding, poste une carte du Brésil figurant le taux d’occupation des lits en soins intensifs (Lsf), assortie du commentaire «l’entièreté du pays est désormais (comme) Manaus». Ceci relativement à la ville capitale de l’Etat d’Amazonas, dont le secteur hospitalier a récemment été débordé. Au point de se retrouver en rupture d’oxygène. Sur la carte mise à jour depuis, la quasi-totalité du système de santé est au bord de la rupture. Parmi les 26 Etats qui composent le pays, 20 sont dans une situation «critique» avec plus de 80% d’occupations des Lsf. Pire, les 17 villes capitales auraient déjà atteint les 100%, selon le Dr. Feigl-Ding. Dans la seule journée du 9 mars, 1972 personnes ont perdu la vie des suites du Covid-19. Le nombre de décès quotidien augmente de manière exponentielle. La courbe qui en résulte semble monter à la verticale. Le Brésil vit un cataclysme sans fin.

Pandémicide et politique eugéniste

D’après le Dr. Feigl-Ding, le variant brésilien ou P1, apparu à Manaus pourrait être 2 à 2,5 fois plus transmissibles, expliquant en partie la catastrophe. Un autre facteur de taille est à l’œuvre, Bolsonaro lui-même. Pour la pneumologue brésilienne Leticia Kawano-Dourado, il y aurait lieu, de parler de «pandémicide». Bien qu’elle avoue ne pas apprécier ce terme, il est né de la contraction de «génocide» et «pandémie». Et est emprunté à la journaliste scientifique Laurie Garett. Celle-ci l’a utilisé pour qualifier la gestion sanitaire «coupable» d’un autre leader, Donald Trump. La Dr. Kawano-Dourado utilise ce néologisme afin de qualifier ce qu’elle estime être «un génocide eugénique, une tentative de se débarrasser des plus vulnérables et des plus pauvres.» Sur son compte Twitter, la scientifique relève la communication aussi douteuse sur le plan historique et politique que néfaste en matière de protection sanitaire de Bolsonaro et ses proches. Ainsi, elle invite à la lecture d’un article du Jerusalem Post rapportant comment le Ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, a comparé les mesures de distanciation sociale aux camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale. Elle poursuit, rappelant qu’il arrive à Bolsonaro de présenter la violence physique comme une solution et d’utiliser un langage déshumanisant.

En 2016, alors qu’il était député, il affirme à la radio Jovem Pan que «l’erreur de la dictature fût de torturer sans tuer». Cela en référence au régime militaire dictatorial qui sévît au Brésil entre 1964 et 1985, donnant une mesure de l’importance accordée à la vie humaine par l’a tuel Chef de l’Etat. On pourrait y ajouter ses déclarations lors d’une conférence de presse sur la crise sanitaire retransmise par TV Brasil, en novembre dernier. «Tout est pandémie désormais. Je regrette les morts… Nous allons tous mourir un jour… Il ne sert à rien de le fuir, de fuir la réalité. Vous devez arrêter d’être un pays de tapettes», avait-il alors jeté. Plus récemment, il a exhorté ses concitoyennes et concitoyens à cesser de «pleurnicher». Le ton est donné.

Appels à l’aide

Des actes suivent. «Les peuples autochtones souffrent terriblement», écrit la Dr. Kawano-Dourado. A ses yeux, il est imaginable que Bolsonaro laisse circuler le virus dans des communautés, dont il voudrait que cesse l’influence pour la conservation des forêts. En juin, il a posé son veto sur les dispositions d’une loi obligeant le gouvernement fédéral à fournir eau potable, désinfectant et à garantir des lits d’hôpitaux aux communautés autochtones en pleine pandémie (Reuters). Et puis, il y a la campagne de vaccination. Elle peine à démarrer et s’organiser, le pays ayant tardé à négocier l’accès aux vaccins, dont l’efficacité et l’innocuité sont remises en question publiquement par le président (New York Times).

Dans le pays, le terrifiant bilan de la pandémie ne cesse de s’aggraver. On dénombrait lundi 266’398 victimes. Mardi, on en comptait près de 2000 supplémentaires. Et ainsi de suite. La propagation étant exponentielle on peut craindre de dépasser les 3000 décès quotidiens en moyenne d’ici 15 jours. Cela d’autant plus que les hôpitaux sont débordés les uns après les autres. «Voilà ce qu’il se passe au Brésil» comme l’écrit la Dr. Kawano-Dourado. Elle demande à toutes et tous de se tenir aux côtés de ce pays qu’elle chérit sous le mot dièse #Standwithbrazil. Un autre médecin infectiologue, le Dr. Gerson Salvador, s’est pris en photo avec le message «arrêter le génocide de Bolsonaro». «Ici, en soi-disant première ligne, nous avons dépassé toutes les limites pour faire face à une pandémie qu’il alimente» précise-t-il.

Limites de la résilience

Quand bien même nous ne nous sentirions pas concerné.e.s par ces cris de détresse, rappelons-nous que le Brésil est un pays aux 200 millions d’âmes. Il s’agit d’humanité tandis qu’à chaque réplication, le virus peut muter. Il augmente alors la probabilité de nouveaux variants plus ou moins contagieux, mortels. Ou pire, résistants aux vaccins. Les sociétés occidentales arrivent à bout de souffle. Elles ploient socialement et économiquement sous le poids de mesures de restrictives toujours moins tolérées. Mais voir l’avenir s’assombrir encore risque d’être difficile, si ce n’est impossible à supporter.