Le monde capitaliste et la guerre

Livre • Nils Andersson livre une analyse rigoureuse de la nature première du capitalisme: la guerre. Ceci à travers les conflits armés asymétriques de 1990 à 2020.

Nils Andersson étudie la suite de conflits de ces trente dernières années et met en lumière les ravages d’un capitalisme belliciste. (PJt)

Ce «petit» livre de quelque 150 pages est d’une telle richesse qu’il est difficile d’en résumer le contenu. Celui-ci est assez austère et, bien que l’ouvrage soit fort bien écrit, il requiert du lecteur une attention constante. Ne cherchant nullement à présenter une histoire «neutre», l’auteur, en étudiant les guerres qui n’ont cessé de se succéder depuis trente ans, veut «mettre en lumière la froide et cynique réalité de la nature belliqueuse du capitalisme».

Droit d’ingérence humanitaire

Nils Andersson accorde une place importante aux opérations menées en ex-Yougoslavie (1993-1999), car elles sont l’événement matriciel du «droit d’ingérence humanitaire». Or derrière ce rideau apparaît leur véritable but géostratégique et celui de toutes les actions atlantistes ultérieures. Le massacre de Srebrenica marque d’ailleurs le naufrage de ce nouveau concept.

Les Etats-Unis deviennent le gendarme européen, substituant l’Alliance atlantique (OTAN) aux Nations-Unies. La guerre du Kosovo et les bombardements de la Serbie sont menés par les Américains, sans aucun mandat de l’ONU. Ils vont être une répétition générale des actions à venir de George W. Bush et de ses «caniches», Tony Blair, Nicolas Sarkozy et David Cameron.

Rwanda, Afghanistan et Irak

Puis l’auteur passe au génocide des Tutsis au Rwanda (1994). Comme pour tous les cas qu’il aborde, il prend soin de remonter dans le temps et d’opérer un rappel historique sur le long terme. Ainsi, il explique comment le colonialisme allemand puis belge a créé, puis instrumentalisé l’ethnoracialisation des Tutsis et Hutus, provoquant la haine ethnique. Autre dérive des «guerres justes», l’intervention des Etats-Unis et de leurs commis en Afghanistan.

Il est à noter que ces interventions militaires, et les suivantes, loin de résoudre les problèmes politiques intérieurs des pays concernés, n’ont laissé que ruines, morts «collatérales» des simples habitants et guerre civile! C’est particulièrement le cas de la guerre en Irak, justifiée à l’origine par des fake news sur le potentiel atomique du régime de Saddam Hussein. Nils Andersson montre que le vrai objectif de l’intervention massive étasunienne était la sauvegarde des intérêts géopolitiques et économiques (pétrole et gaz naturel) du monde occidental.
En 2005, la résolution 60/1 des Nations-Unies va plus loin, avec le droit de «protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité». Or ce manteau virginal va recouvrir des opérations de type impérialiste, dont l’intervention en Libye (2011) offre un bon exemple, laissant derrière elles un pays complètement déchiré. Quant aux guerres du Mali et du Sahel, considérés comme le pré carré de la France, elles s’inscrivent dans la continuité de la Françafrique.

Si «les guerres d’Afghanistan, d’Irak et de Libye sont le terreau des groupes salafo-djihadistes qui interviennent au Mali et dans le Sahel», l’auteur nous invite à ne pas oublier deux faits: ce sont les Etats-Unis qui, avec un aveuglement politique total, ont armé les islamistes extrémistes afghans contre l’ennemi soviétique pendant la guerre froide; et ce sont eux qui soutiennent les monarchies conservatrices en Arabie saoudite et au Qatar, où se trouvent les bases historiques et idéologiques des groupes salafo-wahhabistes-djidahistes.

Guerres sans paix

En résumé, toutes les guerres menées par les coalitions occidentales ont certes été gagnées par elles, mais sans jamais que la paix, elle, ait été gagnée. «Au mieux s’installe l’instabilité politique, plus souvent se perpétuent conflits et actes terroristes». La situation qui perdure en Syrie en est un tragique exemple. Enfin Nils Andersson met en garde contre l’inquiétante «militarisation du monde»: entre 1988, donc en pleine guerre froide, et 2018, les dépenses militaires mondiales ont passé de 1573 à 1774 milliards de dollars! Il dénonce «l’infernale spirale technologique du surarmement», dont font partie la «robotisation des armées» et la création de nouveaux Rambos, partant du concept «O morts pour les militaires», mais au mépris total de la vie des populations civiles. Selon l’auteur, c’est le capitalisme et sa nature impérialiste qui rendent impossible la noble tâche des Nations Unies dès leur origine, laquelle était de « préserver les générations futures du fléau de la guerre». On en est bien loin!

Pour les lectrices et lecteurs qui ne sauraient rien de Nils Andersson, rappelons que celui-ci, né en 1933, a derrière lui un long passé de militant anticolonialiste et antiimpérialiste. Ses Éditions La Cité publièrent, à la fin des années 50, des textes interdits en France et dénonçant la torture pendant la guerre d’Algérie. Puis il contribua, au début des années 60, à la formation du Centre Lénine pro-chinois. Expulsé de Suisse en 1967 sous prétexte de sa nationalité suédoise 1, il vécut ensuite en Albanie puis en Suède. Installé aujourd’hui à Paris, il continue à être très actif dans le mouvement Attac.

Nils Andersson, Le capitalisme c’est la guerre, Terrasses editions, 2021, 148 pages.