La giga-arnaque écolo d’Elon Musk à Berlin

Allemagne • Tesla veut conquérir le marché européen des grosses berlines électriques avec une méga-usine dans une forêt aux abords de Berlin. Un projet qui bénéficie de plus d’un milliard d’euros d’aides publiques, malgré le bilan carbone accablant du véhicule produit. (Par Bruno Odent, Paru dans L’Humanité)

Le gigantesque complexe industriel de Tesla en construction près de Berlin. Pour des véhicules aux conséquences délétères sur l’écosystème. (DR)

Le 1er décembre 2020, Berlin honorait le patron de Tesla comme un visionnaire. Elon Musk recevait le prix Axel Springer de «l’esprit d’invention et de la force de l’innovation» dans les étages de la tour de la maison d’édition des quotidiens Bild, Die Welt et d’une brochette de publications populo-conservatrices. Mise en scène hollywoodienne: le public est embarqué à bord d’un vaisseau SpaceX virtuel, tandis que défilent sous ses yeux les réalisations de l’homme, qui promet d’emmener jusque sur Mars une sélection de Terriens méritants. Une voix solennelle étranglée par l’émotion conclut: «Un homme peut changer le monde.» Le récipiendaire grimpe sur un podium. Les applaudissements crépitent. Le ministre de la Santé, Jens Spahn, qui a tenu à se libérer de ses obligations Covid pour quelques minutes, fera à son tour un vibrant éloge du personnage.

Gourou de la «mobilité clean»

Elon Musk est comme chez lui à Berlin. Surtout depuis qu’il a décidé de construire dans une des forêts de conifères qui ceinture la ville une Gigafactory (méga-usine) pour y fabriquer les automobiles électriques Tesla qu’il destine au marché européen. Les travaux sont bien avancés et le démarrage de la production est prévu pour le début de l’été. Durant la pandémie, le champion du capitalisme vert, gourou de la «mobilité clea», est devenu l’homme le plus riche du monde, selon le classement Bloomberg publié en janvier dernier. A 188 milliards de dollars (162 milliards d’euros), sa fortune personnelle dépasse désormais d’un peu plus d’un milliard celle de Jeff Bezos, le patron d’Amazon.

Elon Musk est en terrain conquis. Les autorités locales ont fait mieux que de lui dérouler le tapis rouge. Le land du Brandebourg qui entoure la capitale a offert 270 millions d’euros pour la construction de la Gigafactory automobile. L’Etat fédéral a mis au pot pour le chantier du site mitoyen de fabrication de batteries. Au total, Tesla bénéficie de plus d’un milliard d’euros d’aides publiques. La forêt, rasée sur plus de 2 millions de mètres carrés, une production d’au moins 500’000 véhicules par an, une promesse de 13’000 emplois créés en vitesse de croisière. La plus grande unité de fabrication de batteries d’Europe. Tout doit se conformer aux ambitions astronomiques du providentiel chevalier du ciel du capital états-unien.

Plusieurs recours juridiques déposés

Les travaux démarrés en 2019 ont été menés tambour battant, moyennant de nombreuses dérogations administratives. Cependant, d’irréductibles associations écologistes locales dénoncent les conséquences sur la faune, la flore et surtout le pompage des ressources en eau. Ce projet menace de fragiles équilibres locaux, jusqu’à induire un potentiel impact toxique sur les réserves en eau potable, tant la fabrication de batteries inclut de lourds procédés chimiques.

Plusieurs recours juridiques ont été déposés. Ce qui retarde l’attribution d’un permis de construire définitif, indispensable à l’achèvement des travaux. Coup de colère du milliardaire: il vient d’envoyer une lettre salée aux autorités, se disant «irrité» d’être en attente à cause de lenteurs locales «en directe contradiction avec l’urgence de se conformer aux objectifs climatiques» affirmés par le gouvernement fédéral.

Elon Musk fait monter la pression politique. Lui et ses grosses voitures électriques sont les vrais défenseurs du climat. Et rien ne doit entraver leur marche. Le rappel à l’ordre vise à mettre hors circuit la Grüne Liga et d’autres associations. Non sans quelques résultats immédiats, puisque les Verts, en mal de montrer leur capacité d’adaptation au capitalisme vert dans leur course à la chancellerie à l’occasion de l’élection du Bundestag de septembre prochain, ont vertement remis en place l’association.

Fabrication des véhicules très gourmande en énergie

Pourtant, la fabrication et même l’utilisation d’une voiture Tesla polluent. Le bilan en matière d’émissions de gaz à effet de serre d’un véhicule de type Model Y, qui sera produit dans le Brandebourg, sera même plutôt supérieur à celui de vulgaires crossover thermiques. Plusieurs dizaines d’études scientifiques le démontrent, relève une enquête du site écologiste Reporterre1. Il y a deux raisons essentielles à cet apparent paradoxe: la fabrication des véhicules est très gourmande en énergie, en particulier leur équipement en grosses batteries, dont les éléments constitués de métaux rares viennent du bout du monde.

Surtout, le courant nécessaire à leur production comme à leur fourniture en carburant va être délivré par l’un des réseaux électriques les plus carbonés d’Europe. Le lignite, ce charbon brun qui détient le record absolu des émissions de CO2, reste en effet la principale composante du mix énergétique local.

Un peu plus au sud de la Gigafactory aux confins du Brandebourg et de la Saxe, les centrales thermiques qui surplombent les cratères géants des mines à ciel ouvert de Jänschwalde et Nochten figurent ainsi parmi les plus redoutables souffleries de CO2 du pays et de l’UE.
Giga-bulle spéculative

Si la giga-arnaque écolo bénéficie des plus fortes complicités à Berlin, Bruxelles, comme au sein des administrations successives des États-Unis, elle a aussi un énorme talon d’Achille: son mode exponentiel de croissance financière. Tesla, à elle seule, constitue en effet une giga-bulle spéculative. La valeur de son titre en Bourse a été multipliée par… 7 en 2020, sa valeur actionnariale dépassant désormais celle des groupes automobiles européens Renault, Peugeot, Volkswagen et BMW, pris tous ensemble. La fracture béante entre ce giga-doping financier et les vérités, environnementale comme économique, issues du monde réel peut, tôt ou tard, faire exploser en vol le vaisseau Tesla. n

1 «Non la voiture électrique n’est pas écologique», enquête de reporterre.net, en trois volets.