L’étiquette «rouge» aux Philippines

Syndicalisme • Michala Lafferty, d’UNI Global Union (Nyon), dirige une équipe luttant pour la syndicalisation du secteur des centres d’appels employant plus d’un million de personnes dans un pays accusé de graves atteintes aux droits humains, notamment par Amnesty International. La syndicaliste revient sur les expériences de son équipe.

Une banderole de protestation contre la fermeture des écoles indigènes Lumad en décembre 2020. (Ryomaandres)

Aux Philippines, «l’étiquette rouge» coûte cher. Elle vous est donnée par un État meurtrier malveillant sans visage, vous signalant comme cible. Elle est aussi un processus méprisable. Il consiste à mettre sur une liste noire des personnes étiquetées comme communistes ou terroristes, voire les deux, des organisations jugées critiques ou ne soutenant pas pleinement le gouvernement de Rodrigo Duterte. L’Église catholique, les défenseurs et organisations des droits de l’homme, les universitaires, les législateurs, les organisations caritatives, les groupes féministes, les groupes de défense des droits ethniques ou les membres du réseau d’employés de l’industrie des centres d’appels (BIEN) sont persécutés. Quelque 328 personnes étiquetées rouge ont été assassinées, dont Jora Porquia, le président de BIEN. Plus de 2600 ont été arrêtées illégalement, de même que 1000 citoyens.

Société civile persécutée

Il en va ainsi de Jasmine*. Mère de 6 enfants, diplômée en communication et enseignante qualifiée dans le secondaire, elle est aussi membre du conseil exécutif de BIEN. En octobre 2019, Jasmine travaillait dans le bureau de l’organisation de femmes. Elle y effectue normalement du travail para-juridique pour les travailleurs du centre d’appels lorsque l’armée fait une descente dans les locaux, puis la police. Au cours de la fouille illégale, cette dernière trouve deux armes manifestement déposées lors du récent raid militaire.

Arrêtée et placée en détention, arrachée à ses enfants qui assistaient impuissants à l’enlèvement de leur mère, elle sera détenue passera pendant 12 jours et fait toujours face à des accusations de possession illégale d’armes à feu. Par deux fois cette année, Jasmine a déjà été étiquetée rouge, accusée alors d’être une «haute responsable de la milice communiste armée». Sa vie se passe sous la menace avec des déménagements incessants. Il n’y a aucun endroit sûr pour elle et doit constamment être vigilante. La menace qui pèse sur Jasmine est aujourd’hui encore plus réelle depuis que la loi antiterroriste est entrée en vigueur (en 2020, ndlr).

Droits humains bafoués

Engagé auprès de BIEN depuis 2011 et dans l’activisme et le leadership lorsqu’il était étudiant à l’université, Jacob* a 32 ans. Sous surveillance, il souffre lui aussi de graves crises d’anxiété et de panique. Il en va de même avec Reggie*, autre membre de BIEN. L’année dernière, l’association a organisé une action de protestation pour réclamer le versement intégral du 13e mois aux employés des centres d’appels externalisés (communément appelés BPO pour business process outsourcing, ndlr). Peu de temps après, l’ensemble de l’exécutif de BIEN a été tagué en rouge sur les médias sociaux, comme lorsque l’organisation a publié une déclaration critiquant la réponse inadéquate de Duterte à la pandémie de Covid.

Surveillé, Reggie a peur et s’inquiète pour sa sécurité car, bien qu’il vive dans un quartier résidentiel tranquille, la police installe fréquemment un poste de contrôle devant son appartement au milieu de la nuit, même si le trafic est faible ou nul. Pour sa part, Safra* travaille pour un centre d’appels en tant qu’agente depuis 2006. En raison de son implication dans le syndicat et de son rôle de leader, elle a été étiquetée rouge par une ONG appelée CCAD (Call Centre Agents for Democracy) et par d’autres groupes pro-Duterte.

Secrétaire générale d’UNI, Christy Hoffman, a récemment exprimé sa solidarité aux responsables du Réseau BIEN aux Philippines, qui vivent et travaillent sous la menace d’être exécutés après avoir été étiquetés rouge. «Les nouvelles qui nous ont été rapportées par nos collègues des Philippines sont choquantes et doivent être condamnées au niveau national et international. Il est temps pour les employeurs et leurs groupes représentatifs de répondre à cet appel à s’unir contre le ciblage pernicieux des militants pour la justice sociale et de mettre fin aux meurtres. Le mouvement syndical mondial doit dénoncer les responsables, y compris le gouvernement Duterte qui encourage et récompense ces meurtres sans impunité et au mépris des droits de l’homme», assure-t-elle.

Adapté par la rédaction
* noms modifiés