Reboiser les terres pour enraciner les humains

Mexique • Avec son programme phare «Semer la vie», qu’il souhaite voir adopter par d’autres pays d’Amérique centrale, le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador espère lutter contre la pauvreté et le changement climatique. Premier bilan. (Par Rosa Moussaoui, Paru dans L’Humanité)

Andrès Manuel Lopez Obrador, un discours de justice sociale et environnementale qui séduit. (DR)

A 55 ans, Don Neftaly Sanchez a délaissé la rude culture du maïs, dont il faisait chichement vivre les siens, pour prendre soin de ses cèdres, de ses acajous et de ses ciricotes.Ce paysan de Balancan, dans l’Etat de Tabasco, est l’un des 430’000 bénéficiaires du programme «Sembrando Vida» («Semer la vie»), initié par le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador (Amlo) dans le double objectif de faire reculer la pauvreté par la création d’emplois réservés aux personnes défavorisées en milieu rural et de lutter contre le changement climatique par le reboisement de régions affectées par des dommages environnementaux.

D’ici à 2024, un million d’hectares d’arbres à bois, fruitiers et à épice doivent être plantés, après deux décennies de déforestation acharnée qui ont laissé la forêt tropicale mexicaine exsangue. À ce jour, selon les chiffres officiels, 700 millions d’arbres ont poussé, dans 20 des 32 États que compte le Mexique.Au cours de la première année de mise en œuvre de «Sembrando Vida», 80 millions d’arbres ont été plantés, loin de l’objectif initialement fixé de 575 millions d’arbres et de plantes.

Une ambition et des failles

Don Neftaly ne regrette pas son choix: comme bénéficiaire du programme, il perçoit 5 000 pesos par mois, l’équivalent de 200 euros, pour reboiser une parcelle de 2,5 hectares. «J’ai toujours participé aux programmes agricoles, et c’est l’un des meilleurs, car nous sommes soutenus sur tous les plans. Nous sommes payés pour travailler et la production nous appartient», se réjouit-il.

En 2021, un budget de 1,4 milliard de dollars a été affecté à l’initiative. Laquelle est loin d’être exempte de défauts : avec des essences parfois transposées à des terroirs inadaptés, beaucoup de jeunes plants ont périclité et, au cours de la première année de mise en œuvre de «Sembrando Vida», 80 millions d’arbres ont été plantés, loin de l’objectif initialement fixé de 575 millions d’arbres et de plantes.

Les techniciens encadrant le programme n’ont pas toujours les compétences requises, la planification fait défaut et la multiplication des intermédiaires peut laisser la voie libre aux pratiques obscures, à la corruption, à la captation des ressources publiques via la passation de marchés publics favorisant les grands pépiniéristes.

A l’échelle locale, la manne financière et le capital politique induits par le programme encouragent parfois des réflexes clientélistes. Certains paysans ne reçoivent jamais les subsides, les plants ou le matériel promis, tandis que d’autres déboisent leurs terres pour remplir les critères requis.

Et, quand certaines populations ciblées sont parfois tenues à l’écart, les profiteurs ne se privent pas d’instrumentaliser ce programme agroforestier: Nous avons des témoignages spécifiques à Veracruz, au Chiapas, à Campeche de propriétaires terriens qui simulent de petites propriétés, en présentant leur femme, le fils de leur cousin… comme bénéficiaires», dénonce par exemple Gonzalo Chapela, du Réseau mexicain d’organisations paysannes forestières.

Développer le projet et créer 1,2 million d’emplois

Difficile, à ce stade, de mesurer l’impact social et environnemental de ce plan. «Un programme d’une telle ampleur et d’une telle envergure ne peut être évalué deux ans seulement après son lancement. Nous ne devons pas le diaboliser, mais nous ne voulons pas dire que cela a été un succès retentissant», résume, prudent, Diego Pérez Salicrup, chercheur à l’Institut de recherche sur les écosystèmes et la durabilité de l’Université nationale autonome du Mexique (Unam).

En dépit de ses failles, Amlo, lui, tient l’initiative pour une réussite indéniable, «le plus grand effort de reboisement au monde». Au point qu’en avril, lors du sommet virtuel sur le climat, il a proposé au président des États-Unis, Joe Biden, d’en appuyer l’extension à d’autres pays comme le Salvador, le Honduras et le Guatemala. «La proposition est qu’ensemble nous étendions ce programme dans le sud-est du Mexique et en Amérique centrale pour planter 3 000 millions d’arbres supplémentaires et générer 1,2 million d’emplois. Le phénomène migratoire, comme nous le savons tous, ne se résout pas par des mesures coercitives, mais par la justice et le bien-être», a-t-il plaidé, alors que Washington tient à externaliser ses frontières en sous-traitant à son voisin l’endiguement des flux de populations en provenance d’Amérique centrale.

Après trois ou quatre ans, a suggéré le président mexicain, les participants au programme pourraient prétendre à un visa de travail temporaire. Fin de non-recevoir: «Ce n’est pas une conversation sur la migration. C’est une conversation sur le changement climatique», a fait valoir l’administration américaine.