Faillite colossale de la guerre

Afghanistan • La guerre en Afghanistan, lancée le 7 octobre 2001, moins d’un mois après l’attaque aux tours de New York, a initié celle que président de l’époque des Etats-Unis, George W. Bush, a appelé «la guerre globale et permanente contre la terreur». (Par Tobia Schnebli)

Depuis 2001, les Etats Unis ont dépensé 2261 milliards de dollars pour fiancer la guerre en Afghanistan, la plus grande partie à crédit.(Jason Brisebois)

La fin de la guerre des puissances occidentales en Afghanistan et la prise du pouvoir par les Talibans mettent en évidence une faillite totale de la politique prétendument «de sécurité» des Etats-Unis et de leurs alliés de l’OTAN. L’attentat de la branche afghane de l’Etat Islamique, qui a tué 170 Afghan.es et 13 soldats américains dans la zone de l’aéroport de Kaboul, le 26 août, montre les dimensions colossales et durables de cette faillite.

Il y a fort à parier que la débâcle n’amènera pas à repenser en profondeur la politique des principales puissances économiques et militaires de l’Occident parce que ceux et celles qui paient les conséquences les plus désastreuses de cette guerre et des autres «guerres contre la terreur» encore en cours sont en premier lieu les populations de l’Afghanistan et d’autres pays du Sud global.

Chiffrer le désastre

Grâce au travail de longue haleine du Watson Institute de la Brown University (Rhode Island, USA) sur les coûts des guerres étasuniennes après le 11 septembre 2001, nous disposons de chiffres utiles à la réflexion. D’octobre 2001 à avril 2021, environ 240’000 personnes sont mortes directement dans les opérations de guerre en Afghanistan et dans le proche Pakistan. Parmi ces morts, on compte 84’191 «combattants ennemis», environ 78’000 membres des forces armées et ainsi que polices afghanes et pakistanaises et 71’344 civils. Ces victimes «locales» constituent le 96,8% du total. Le 3,2% restant des personnes tuées dans ce conflit est composé de 2448 militaires de l’armée américaine, 1144 militaires d’armées alliées et 3936 mercenaires sous contrat des armées occidentales.

Ces chiffres n’incluent pas les personnes décédées de maladies, suite à la perte d’accès à l’eau, à la nourriture et aux infrastructures et/ou pour d’autres conséquences indirectes de la guerre. L’AFSC (American Friends Religious Society, un institut de recherche financé par le mouvement religieux des Quakers) estime à 360’000 le nombre de personnes mortes pour ces causes «indirectes» liées à la guerre en Afghanistan.

Frais pharaoniques

Depuis 2001, les Etats-Unis ont dépensé 2261 milliards de dollars pour financer la guerre en Afghanistan, la plus grande partie à crédit. Au total, les conflits de ces deux décennies de la «guerre globale contre la terreur» (Afghanistan, Irak, Pakistan, Syrie, Yémen, Philippines, Mali, Somalie et autres) ont coûté 6400 milliards de dollars aux Etats-Unis. Soit en gros dix fois le montant que cet Etat a dépensé pour l’aide au développement dans le monde.
Entre 2001 et 2017, les émissions de gaz à effets de serre de l’armée américaine se sont élevées à 1,2 milliard de tonnes. Un chiffre supérieur aux émissions d’un pays industrialisé comme la Suisse durant la même période.

Armement helvétique

Comme dans beaucoup d’autres conflits, parmi les principaux bénéficiaires, on relève les fabricants d’armes et leurs actionnaires. Parmi ceux-ci, limitons-nous à en signaler deux actifs en Suisse, pays ayant une longue tradition d’exportations guerrières (les troupes mercenaires sous l’Ancien régime et les produits des industries d’armement du siècle dernier ). Ainsi l’habituel Pilatus de Stans (entreprise fondée en 1939 par le fabricant de canons Emil Bührle), avec les quarante P-12 fournis aux armées de l’air américaine et afghane. Ces avions ont été exportés comme matériel civil aux Etats-Unis où, au su du SECO de la Confédération, ils ont été armés et envoyés dans différents théâtres de la «guerre contre la terreur», une douzaine en Afghanistan.

La MOWAG de Kreuzlingen a aussi profité de la guerre, avec les blindés Piranha vendus notamment à l’armée danoise, qui les aurait utilisés en Afghanistan. La statistique de l’ensemble des armes suisses fournies aux armées de l’OTAN engagées dans la guerre en Afghanistan reste à faire.

Aide humanitaire

En revanche, la souvent proclamée «tradition humanitaire» de la Suisse est mise à mal par le Conseil fédéral. Ainsi par son refus d’accueillir d’autres réfugié.es Afghan.es, hors ceux et celles employé.es par l’Ambassade helvétique à Kaboul et la DDC avec leurs familles.

Signalons toutefois une note encourageante en provenance de l’aide humanitaire soutenue par la Suisse. Interviewé aux infos de 12h30 du 23 août de la radio SRF, le directeur des opérations humanitaires du CICR, Dominik Stillhard, a fourni plusieurs informations qui contrastent nettement avec l’overdose médiatique des semaines ayant précédé le départ définitif des troupes américaines de l’aéroport de la capitale afghane. «Les images depuis l’aéroport de Kaboul ne sont pas représentatives de la situation dans le pays… Il n’y a pas une émigration en masse comme en 2015 en Syrie».

Il a aussi expliqué que les 1800 collaborateurs et collaboratrices du CICR, parmi lesquel.les 100 délégué.es internationaux, poursuivent leur travail. Ce dernier continue à être demandé par les Talibans, avec lesquels le CICR collabore de longue date. Qu’en est-il de la situation des femmes qui travaillent pour le CICR? «Certes, à moyen terme c’est une situation qui nous préoccupe, mais pour le moment il n’y a pas de problèmes particuliers, elles sont

trop indispensables, notamment dans beaucoup d’infrastructures de la santé».
Et les fournitures de biens essentiels? «Si la situation à l’aéroport est difficile, les voies terrestres avec les pays voisins sont ouvertes. Il faut bien comprendre que la guerre est terminée et que cela facilite énormément les transports par la voie terrestre… La préoccupation est pour le futur, quand l’Afghanistan risque de ne plus avoir les moyens pour payer ces fournitures». Le lendemain de cette interview, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International annonçaient l’arrêt des versements et des prêts financiers à l’Afghanistan.