L’exploitation des travailleurs en 2021

Nouveaux modes de travail • Le capitalisme d’aujourd’hui est très différent, en apparence, du capitalisme du 19e siècle. Il a su s’adapter pour améliorer son image, mais le coeur de la mécanique du système n’a pas changé. L’exploitation des travailleur.euses est plus actuelle que jamais. (Par Idrees Samim, paru dans Résistance)

Depuis début novembre, quelque 2500 salariés d'Amazon en Allemagne sont en grève, réclamant une augmentation des salaires avec le slogan we are not robots. (ver.di)

Le 21e siècle a vu naître les nouvelles méthodes employées par les entreprises en matière de management, de business plan et de gestion des ressources humaines. En tant qu’employé, il faut être «agile», «flexible» ou en «freelance». Même le vocabulaire a changé: on ne dit plus «patron», mais «manager»; on ne parle plus de «travail», mais de «projet». Cependant, derrière cette couche de vernis, se cache une réalité crasse, celle du capitalisme, dont l’objectif unique reste toujours la recherche de rentabilité au détriment des travailleur.euses. Voici un petit aperçu des méthodes employées par les entreprises pour augmenter leurs profits aujourd’hui.

Payer les employés avec des cacahuètes

Les patrons ne sont jamais à court d’idées quand il s’agit de faire baisser les salaires. Et ils ont trouvé une nouvelle technique imparable: paraître «cool». Fini l’exploitation caricaturale du 19e siècle, le capitalisme 2.0 a su travailler son image marketing. Le patron d’aujourd’hui a des allures d’Elon Musk. Il tutoie ses employés, il organise des fêtes d’entreprise: bières du vendredi, événements de team building, bowling, anniversaires, déjeuners et soirées d’équipe. Mais derrière ces apparences généreuses et altruistes se cachent les nouvelles techniques de management mises en place pour diminuer les «charges» des ressources humaines. On parle même de culture d’entreprise. Les employés doivent avoir l’impression de faire partie d’une même grande famille. Est-ce qu’on demande une augmentation à sa famille? Mais méfiez-vous des cacahuètes et du chocolat, car ils ne remplaceront jamais les augmentations de salaire!

Engager des externes qu’ils peuvent virer plus facilement

Les entreprises font de plus en plus appel à des sociétés externes pour leur fournir de la main d’oeuvre. Ces «intérimaires» peuvent même travailler plusieurs années dans la même entreprise, à plein temps. Parfois, les charges de ces employés peuvent dépasser le coût d’un employé interne. Alors pourquoi les entreprises font-elles appel à des externes? La réponse est simple: elles achètent la paix sociale. Ainsi, elles peuvent opérer à des licenciements cachés sans que ce soit perçu comme tel. Ces employés de seconde zone sont comptabilisés au même titre que le mobilier de l’entreprise, ils rentrent dans le même «budget», car ils ne sont pas salariés de l’entreprise. C’est-à-dire qu’on peut s’en débarrasser comme on le ferait avec un vieux meuble. La législation dans ce domaine est très lacunaire. Cela a permis l’émergence de sociétés qui se présentent comme des sociétés de conseil ou de service, mais qui sont en réalité des boîtes de placement.

Vers l’ubérisation généralisée?

Se faire livrer des repas pour trois fois rien? C’est possible avec des plateformes comme Uber Eats ou Smood. Une startup sur trois applique le même genre de modèle économique. Mais il faut savoir que des prix toujours plus bas vont de pair avec des conditions de travail dégradées au maximum. Ces entreprises du numérique s’attaquent à des secteurs de l’économie autrefois très régulés comme les taxis ou la poste. Elles ne respectent pas le paiement des heures de travail, ne remboursent pas les frais des livreurs, volent parfois leur pourboire, ne les assurent pas en cas de maladie et les mettent dans une situation de concurrence maximale. Il est plus que temps d’agir pour réglementer ces sociétés et les empêcher de mettre en place un système d’esclavage moderne. Mais peut-être qu’il faudra attendre l’ubérisation des avocats et des banquiers pour voir des changements en la matière.

Délocaliser dans les pays où les salaires sont plus bas

En Suisse, une entreprise manufacturière sur deux pense à délocaliser dans les prochaines années1. Les destinations privilégiées sont l’Europe de l’Est et la Chine où les salaires sont beaucoup plus faibles. Mais le secteur de l’informatique est aussi concerné. Les délocalisations affectent parfois des dizaines d’informaticiens et développeurs. Seuls les chefs de projet restent travailler sur site pour coordonner la main-d’oeuvre étrangère sur les projets des clients basés en Suisse. Cette évolution est très inquiétante, car l’avantage compétitif de la Suisse reste sa main d’oeuvre qualifiée. Si les informaticiens commencent à être délocalisés, c’est que nous sommes désormais tous menacés. Dans les prochaines années, en raison des traités de libre-échange, nous allons probablement voir une baisse de niveau de vie qui va toucher toutes les strates de la société. Cela commencera par une désindustrialisation complète du pays et une disparition de l’agriculture locale, puis cela se poursuivra par une paupérisation et une augmentation du taux de chômage chez les travailleur.euses dits «qualifiés». La seule réponse adéquate à ce danger qui menace nos sociétés reste la mise en place d’un protectionnisme intelligent.

https://www.rts.ch/info/economie/9204256-une-entreprise-manufacturiere-sur-deux-en-suisse-pense-a-delocaliser.html