Nos humanitaires devraient se former auprès des Cubains

Coopération • La meilleure méthode pour aider les populations traumatisées consiste à collaborer humblement avec elles, comme le fait la Brigade sanitaire cubaine, plutôt que d'imposer des méthodes sans concertation.

La meilleure méthode pour aider les populations traumatisées consiste à collaborer humblement avec elles, comme le fait la Brigade sanitaire cubaine, plutôt que d’imposer des méthodes sans concertation.

Le Courrier a récemment consacré une page à la coopération des Cubains en Haïti. Le Dr. Franco Ceppi, du CHUV, a travaillé quelques mois dans l’île pour Médecins du monde et a pu faire des observations originales. Il a remarqué la Brigade cubaine qui agit dans le cadre d’une coopération entre Etats, datant de quelques décennies. Les Cubains prennent au pied de la lettre le terme de coopération : ils n’entreprennent rien sans la présence de fonds et de travailleurs haïtiens et les accompagnent dans leurs travaux. Ils se joignent à eux, les observent et peu à peu les entraînent à améliorer leurs méthodes avec leur consentement. Ils n’introduisent rien de nouveau sans leur complète adhésion. Les brigadistes ont des contrats de deux ans, le temps d’apprendre le créole et de s’adapter au mode de vie local. Très bas salaire, logement modeste, sans autres commodités particulières. Contrairement aux Occidentaux, qui touchent un salaire copieux, logent dans des maisons, sinon luxueuses, du moins confortables, avec personnel domestique, se déplacent en voiture avec chauffeur. Mais les plus grandes différences, qui peuvent expliquer le peu d’efficacité de l’aide, elle aussi presque centenaire, sont les méthodes d’approche et de travail.

S’adapter aux conditions locales

J’ai fait une expérience sur place, il a près de 50 ans (!), dans le cadre d’un collège privé (presque toutes les écoles sont privées), ouvert et animé par une équipe d’enseignants genevois très qualifiés. L’objectif de cette équipe de chrétiens engagés fut d’introduire en Haïti une méthode d’enseignement nouvelle : la pédagogie active, qui devait remplacer le psittacisme (les élèves répétant en chœur la phrase dite par l’enseignant.) alors en vigueur jusqu’à un degré avancé. L’équipe s’est même attelée à diriger les travaux de construction d’une école primaire pour former des enseignants à ce niveau. L’enthousiasme ne manqua pas et la réussite immédiate fut au rendez-vous. Mais si, grâce à la présence à long terme du directeur de l’école secondaire, la méthode importée fut maintenue, il n’en alla pas de même du niveau inférieur. Quelques années plus tard, on découvrit que les enseignants étaient revenus au… psittacisme ! On a fait des expériences semblables dans l’agriculture : les méthodes importées ont fait long feu, car inadaptées aux conditions locales et à l’expérience des cultivateurs. Une récente tentative d’introduire des OGM a été vivement contestée par des agriculteurs, qui sont allés jusqu’à brûler les semences distribuées via le gouvernement.

Des millions lâchés en vain

Il faut relever l’apport de Cosmos Haïti, dirigé par un Suisse d’origine haïtienne, et qui œuvre depuis plus de quinze ans dans la région d’Hinche (nord-ouest de la capitale) : on y cultive des herbes médicinales utilisées dans la fabrication de médicaments distribués dans les dispensaires qui jalonnent la région. Les responsables de ces dispensaires sont formés sur place dans une école technique, gérée par des Haïtiens en commun avec l’animateur helvetico-haïtien. Le succès est garanti car on peut se passer des pharmas.

Pour conclure, citons le médecin lausannois : « Pour moi, les Cubains sont les véritables humanitaires : humbles et grands travailleurs, qui ont pour seul objectif de renforcer le faible Etat haïtien, en se mettant à son service. » Par exemple, si une équipe de fonctionnaires helvétiques avait été envoyée pour soutenir l’organisation des élections, du dépouillement et la mise en place du parlement et du gouvernement – choses dont nous abondons de spécialistes – tout aurait certainement été en place dans les délais, dans l’harmonie et prêts à gouverner. Au lieu de cela, les millions lâchés sur place ont favorisé les lenteurs, les abus et les gaspillages.

Peut-être nos coopérants devraient-ils faire un stage à Cuba avant de s’expatrier.