Etre ou ne pas être une pornstar

Théâtre • Jérôme Richer, auteur français qui vit et travaille à Genève depuis quinze ans, nous invite à regarder en face les passerelles entre le porno et nos vies quotidiennes.

A l'heure des réseaux sociaux rois, tout le monde n'a pas la même définition de la frontière vie privée, vie publique. ©Isabelle Meister

Si l’on s’en tient à la version du conte de fées Blanche Neige et les sept nains, il est normal de demander au miroir «qui est la plus belle?». Le miroir est donc puissamment ancré dans notre imaginaire comme étant un objet qui nous rassure, qui nous porte, qui nous fait du bien. Dans le monde de Jérôme Richer, le miroir est investi d’une tout autre fonction. Il révèle les failles, les contradictions, les duretés que notre monde édulcoré en surface s’efforce de cacher. En 2008, dans La ville et les ombres, il a fait miroiter le phénomène des squats et cette année il nous a ébloui avec sa pièce Tout ira bien, voyage en trois volets dans l’univers des Roms et la perception collective que nous en avons. (Voir notre édition du 20 février 2015).

Des actrices porno qui dévoilent leur métier
Cette fois, il nous invite à nous mirer dans le monde des pornstars avec un titre provocateur Nous sommes tous des pornstars. D’emblée, nous savons que ce monde qui pourrait paraître lointain ne l’est pas et que d’une façon ou d’une autre, nous en faisons tous partie, même si nous ne regardons pas de films porno, car le sexe associé à une certaine image de la femme objet est présent dans notre quotidien (cinéma, télévision, publicité), y compris dans la presse dite «féminine», qui ne fait que modeler les cerveaux femmes pour que ces dernières répondent aux stéréotypes via la mode, les régimes, les témoignages…
Trois actrices porno, Doria Divine (Katy Hernan), Marilou Diams (Martine Corbat) et Bettina Jenkins (Fanny Brunet) dévoilent leur métier: ses secrets, ses duretés mais aussi ses beautés.

La frontière entre leur travail et leur vie privée se tisse en parallèle. «Comme sur un tournage, on fait ça dans pleins d’endroits inconfortables, à la maison, dans le privé, on aime bien notre lit». Le public entre dans cet univers par une séquence qui pourrait évoquer soit un clip vidéo soit un épisode de Véronique et Davina (une émission culte de gym tonique des années 80). Tout de suite, nous sommes mis au parfum cette réalité: effort physique, poses suggestives, femme soumise. Puis le propos se déploie en mode interview. Chacune à leur tour, les actrices racontent des anecdotes sur notre rapport au sexe et à l’argent, sur la définition de la normalité et comment les femmes sont tiraillées: «C’est quoi l’objectif? Montrer au monde entier que tu es une winneuse du cul? Enfin pas trop quand même. Une femme qui baise trop, ça reste une salope».

Que dit la surenchère porno de notre société?

Jérôme Richer parvient à dresser un tableau assez large de cet univers avec nuance et poésie, avec des rires mais aussi une certaine amertume. Il parvient à nous interroger sur notre rapport à notre propre corps, à celui des autres. En sortant on se demande ce que dit la surenchère du porno de nos rêves, nos aspirations en tant que société, et réfléchir, c’est toujours un bon début. n

A découvrir le 19 février 2016 au Centre culturel de la Prévôté, à Moutier, du 3 au 5 mars 2016 au Petithéâtre, à Sion et du 21 au 22 avril 2016 au Théâtre du Pommier, à Neuchâtel.