En route pour sortir de l’austérité

Portugal • Après la constitution inattendue en novembre dernier d'un gouvernement socialiste promettant la sortie de l’austérité et soutenu par la gauche radicale, les Portugais accueillent des premières mesures qui paraissent encourageantes. Les premiers écueils ne sont pas loin non plus.

En juin 2014, la Confédération générale du travail portugais (CGTP) mobilisait en masse contre la politique de coupes du gouvernement de Passos Coelho.

Un soutien sans participation. C’est ainsi que se sont positionnées les forces de la gauche radicale portugaise par rapport au gouvernement socialiste d’Antonio Costa arrivé au pouvoir en novembre dernier à la suite de la chute du gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho. Jusqu’au bout, le président portugais Cavaco Silva, dont le rôle prétendument honorifique est de veiller sur les institutions, aura tenté d’empêcher la constitution d’une coalition de rupture face aux politiques d’austérité menées par Passos Coelho et son prédécesseur socialiste Socrates. Le respect de la sacro-sainte immanence des «intérêts de la zone euro» étant comme d’habitude appelé à la rescousse afin de diviser les forces de gauche au moment où une alternative apparaissait comme possible. C’est que, sans doute plus que partout ailleurs en Europe, le fossé qui n’a pas arrêté de se creuser au sein de la gauche portugaise semblait un obstacle insurmontable. Très tôt en effet, les socialistes portugais ont fait le choix de la modération et de l’eurocompatibilité, c’est notamment le socialiste Mario Soares qui a dirigé la première coalition avec le centre droit en 1983 et qui a négocié les conditions d’adhésion du Portugal à la CEE en 1985.

Premières mesures
S’il s’est produit ce revirement du PS portugais vers sa gauche, c’est en raison de conditions objectives parmi lesquelles les calculs politiques ne sont évidemment pas exclus. A Lisbonne et à Porto, on a bien sûr regardé ce qui est arrivé au PASOK et ce qui est en train d’arriver au PSOE espagnol, débordés par des mouvements plus radicaux. Ces calculs ne seraient cependant pas possibles s’ils n’étaient pas la transcription fidèle de ce qui se passe dans la rue, puis dans les urnes. La mobilisation populaire contre l’austérité au Portugal n’a jamais fait les grands titres de la presse européenne, mais ses fruits sont pourtant bien palpables. Dans plusieurs régions, notamment au Sud la gauche radicale composée du Bloc de Gauche (plus ou moins équivalent à solidaritéS en Suisse) et de la coalition rouge-verte-citoyenne (CDU) menée par le Parti communiste portugais (PCP) fait des scores supérieurs à 30%. Le rapport de force ainsi établi permet donc d’apporter un soutien au gouvernement socialiste qui n’est pas obligatoirement un blanc-seing. Comme le fait savoir un communiqué du comité central du PCP, «plutôt que de faire des conjectures ou de spéculer sur la viabilité de la nouvelle solution gouvernementale qui est apparue, il est beaucoup plus important de mettre l’accent sur le fait que celle-ci dépend essentiellement de la politique que le PS va adopter».

Le soutien sans participation est également habile: il permet de voir venir. Et les premiers pas sont encourageants. Moins dans l’exposition médiatique que la Grèce de Syriza, presque dans la discrétion, le nouveau gouvernement portugais s’est mis au travail. Disposant de plus de latitude et d’autonomie par rapport aux exigences de Bruxelles qu’Alexis Tsipras et profitant du fait que, contrairement à la Grèce, le Portugal a encore accès aux marchés pour se refinancer, Antonia Costa a annoncé pour 2016 un budget de «relance», un tabou absolu du socialisme de gouvernement contemporain. Et parmi les mesures déjà adoptées en deux mois une hausse du smic de 500 à 530 euros, le retour aux 35 heures pour les fonctionnaires, ainsi que la fin des coupes dans leurs salaires et le rétablissement de quatre jours fériés supprimés pour cause d’austérité. Le nouveau gouvernement a aussi immédiatement suspendu les privatisations en cours des transports publics à Lisbonne et Porto. Pour les mois à venir et pour garder ses soutiens, il s’est également engagé à revaloriser les retraites et les allocations familiales, améliorer l’accès à l’éducation et aux soins, lutter efficacement contre la précarisation du travail et alléger le poids du service de la dette. Pour ce dernier sujet, notons en passant que le Portugal vient de lever facilement un nouvel emprunt de 4 milliards d’euros à dix ans pour un taux légèrement supérieur à celui qu’on accordait aux gouvernements austéritaires.

Affaire à suivre
Les écueils ne manqueront évidemment pas de surgir, à l’intérieur comme à l’extérieur: on n’efface pas d’un trait 40 ans d’animosité et d’interactions mouvementées, alors même que le nouvel équilibre reste fragile et que la droite, qui est tout de même arrivée en tête aux dernières élections ne manquera pas de profiter de toutes les occasions, notamment tout prochainement avec l’élection présidentielle où elle se trouve en pole position, afin de faire dérailler les projets mis en place, au nom de la «responsabilité et des engagements pris envers l’Europe. D’ailleurs à Bruxelles, on n’hésitera pas non plus à mettre des bâtons dans les roues du nouveau gouvernement de peur de voir une alternative au Reich bancaire et financier prendre corps. A ce titre toutefois, la promesse d’Antonio Costa de «respecter» les règles budgétaires européennes risque d’entrer en contradiction avec la «relance» promise. Par ailleurs, le PS portugais continue de soutenir les négociations sur le traité de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), ce qui risque de devenir un autre point sensible du fragile édifice qui s’ébauche.
Si ce qui se passe au Portugal ne peut en aucun cas être considéré comme un feu d’artifice révolutionnaire, cela représente malgré tout un contre-courant salutaire au sein de l’UE, qui, jusqu’ici, tient ses promesses et qui sera à suivre de près.