Kotzias dénonce l’hypocrisie européenne

Grèce • Le ministre des Affaires étrangères grec Nikos Kotzias était de passage à Berlin le 23 janvier. Lors d’une conférence, il a abordé les thèmes de la migration, des grèves et protestations actuelles en Grèce, ainsi que le traitement médiatique de la Grèce en Europe.

epa04614165 Greek Foreign Minister Nikos Kotzias gestures while speaking during a joint press conference with Russian Foreign Minister Sergei Lavrov (unseen) after their talks in the Russian Foreign Ministry guest house in Moscow, Russia, 11 February 2015. Greece's defence minister has said the country could seek help from the United States, Russia or China if it fails to reach a new debt agreement with its European partners. Eurozone finance ministers are to hold an emergency meeting 11 February before an EU summit on 12 February on the Greek crisis. EPA/SERGEI CHIRIKOV «La Grèce pourrait respirer. Mais veulent-ils qu'elle y parvienne ou pas?»,s’interroge Nikos Kotzias.

Ironie comme seule l’Histoire peut en produire, après cinq années de grandes tensions entre l’Allemagne et la Grèce dues à la crise de la dette, voilà les deux pays se retrouvant dans le même bateau concernant la question des réfugiés. Samedi 23 janvier, profitant d’une visite à Berlin pour rencontrer son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères Nikos Kotzias a tenu une conférence au Hellas Filmbox Berlin, 1er festival de cinéma grec en Allemagne.

Critique des médias européens
Pendant des décennies, le nombre de Grecs en Allemagne est resté stable. À Berlin, il était d’environ 10’000 personnes jusqu’en 2010. Depuis la crise de la dette, ce nombre a doublé, de nombreux jeunes étant venus en Allemagne pour essayer de trouver des perspectives professionnelles. Pour ces primo-arrivants comme pour les Grecs installés de longue date en Allemagne, le traitement médiatique de la crise de la dette a été extrêmement blessant: non seulement le tabloïd Bild Zeitung – quotidien le plus diffusé en Europe – a multiplié les Unes injurieuses, outrancières et malhonnêtes, mais le parti pris anti-grec a été porté par la majorité des médias allemands.

Le ressentiment est donc élevé, que ce soit au niveau du personnel politique grec de Syriza, qui dénonce le biais confinant au réflexe conditionné dès qu’il s’agit de commenter les décisions et propositions politiques grecques ainsi que les réalités sociales sur lesquelles elles s’adossent, comme au niveau individuel, comme le souligne Asteris Kutulas, le directeur du festival: «Avec ce festival, il s’agit de révéler les contradictions internes et les conflits externes de la Grèce qui ont conduit à la situation catastrophique actuelle, et en même temps de mettre en évidence les points de rupture entre la Grèce, l’Allemagne et l’UE qui ont surgi à la suite de cette crise.» Il ajoute: «Nous voulons donner un aperçu de la situation actuelle de la Grèce, de sa population, de ses conflits intérieurs. Regarder ce pays à travers les yeux de ses cinéastes devrait offrir au public allemand une expérience claire, directe et honnête de la situation, ce qui est presque impossible à travers les médias allemands durant ces cinq dernières années. Les films grecs ont beaucoup plus à dire sur la crise qui frappe la Grèce que les journaux quotidiens allemands.»

De son côté Nikos Kotzias a commenté avec ironie les derniers sondages repris par la presse européenne annonçant que les jours de Syriza et du gouvernement Tsipras seraient comptés, les conservateurs de Nouvelle Démocratie sortant en tête dans ces sondages: «Tout le monde rêve de nous, …et surtout de nous voir disparaître», a-t-il affirmé, avant d’ajouter que «ce sont les mêmes instituts de sondages qui prédisaient que nous perdrions les élections et le référendum…» Selon lui, il existerait d’autres sondages «qui ne sont pas repris par la presse européenne, et selon lesquels nous demeurons en tête. Nous conservons notre base sociale.»

Quelles réponses aux grèves et protestations?
De nombreux secteurs sont en grève, la prochaine grève générale étant annoncée pour le 4 février. La colère se focalise principalement sur la dernière réforme votée par le parlement concernant les retraites. «Il y a des mesures et réformes qui sont nécessaires et d’autres qui sont irrationnelles mais imposées par les bailleurs de fonds. Mais nous devons appliquer tous nos accords, même ceux qui ne nous conviennent pas et vite, tant que nous sommes populaires», a commenté le ministre des affaires étrangères, avant de poursuivre: «Malgré nos résultats positifs depuis une année, la troïka refuse de faire une évaluation des réformes déjà engagées, ce qui nous amènerait à une restructuration de la dette.» Selon Nikos Kotzias, ce refus serait motivé par le fait «qu’elle ne veut pas que le premier gouvernement de gauche en Europe depuis des décennies réussisse. Il y a une grande hypocrisie de l’Union européenne et de sa presse».

Il admet que les réformes appliquées asphyxient l’économie, et obligent les Grecs les mieux éduqués à l’exil, ce qui représente une perte sèche qui s’élève à des milliards d’euros pour le pays, tout en profitant aux autres pays européens qui emploient des personnes qualifiées sans avoir à débourser un centime pour leur formation. Revenant aux retraites, il a ensuite ajouté que selon les accords avec la troïka, «les programmes parallèles ne sont pas interdits. Mais les bailleurs ne veulent pas de ces propositions. Je rappelle que jusqu’à présent, les retraites ont été réduites onze fois! Je rappelle également qu’il y a de nombreuses familles qui vivent sur une seule retraite. Nous proposons donc d’instaurer une retraite minimum et d’indexer les pensions sur la croissance». En guise de conclusion sur ce sujet, Nikos Kotzias assène: «La Grèce pourrait respirer. Mais veulent-ils que la Grèce y parvienne ou pas?»

Réfugiés: sans implication de l’UE, ça ne peut pas fonctionner
Depuis la réaction exemplaire de l’Allemagne sur l’accueil des réfugiés et l’effet domino négatif sur le reste de l’UE, l’Allemagne – isolée – devient l’un des rares soutiens de la Grèce sur cette question, les deux pays ne cessant d’appeler à la solidarité européenne.

Commentant les dernières annonces autrichiennes sur le plafonnement du nombre de réfugiés, Nikos Kotzias a déclaré: «Il faudrait rappeler à l’ÖVP (parti populaire autrichien, conservateur, ndlr.) et au premier ministre hongrois Viktor Orban que l’Europe est trop importante pour qu’ils fassent de la politique intérieure sur son dos.» Selon lui, fermer les frontières ne sert du reste à rien car «les réfugiés trouveront toujours de nouveaux chemins pour venir en Europe du Nord». Il a également répondu aux critiques et pressions faites à la Grèce en expliquant que ceux qui lui font des reproches «sont les mêmes qui, depuis des années, font la guerre ou bombardent les régions d’où proviennent les réfugiés». Nikos Kotzias a en outre rappelé que les camps de réfugiés au Liban ou en Jordanie ne sont quasiment plus financés, que l’ONU n’a plus d’argent et que la Grèce avait averti l’UE il y a un an «que cela coûterait plus cher d’accueillir ces réfugiés qui quittent les camps que de les financer».

Le ministre des affaires étrangères a également adressé des reproches à la Turquie: «La plupart des réfugiés passent par la Turquie. Au début, il y avait 75% de Syriens, maintenant ils ne sont plus que 55%. Les autres sont des Afghans, des Pakistanais et des Maghrébins du Maroc et d’Algérie. Des accords de réadmission avec l’Afghanistan et le Pakistan existent, mais ils ne sont pas mis en œuvre. Quant aux Marocains et Algériens, ils arrivent avec des vols low cost en Turquie, qui ne leur demande pas de visa. Ils n’ont ensuite plus qu’à faire la traversée de l’Égée pour arriver dans l’UE.» C’est pourquoi Nikos Kotzias demande que Frontex (l’Agence européenne de surveillance des frontières) mette à disposition 100 bateaux qui renverraient en Turquie les ressortissants non éligibles au statut de réfugié.

«En ce moment, peu de réfugiés arrivent, mais quand le temps s’améliorera, cela va recommencer. Les membres de l’UE ne veulent ni donner de l’argent pour les camps en dehors de l’UE, ni accueillir des réfugiés, les institutions européennes ne veulent pas donner plus de personnel et matériel pour renforcer les frontières extérieures… cela ne peut pas fonctionner», a-t-il prévenu en guise de conclusion.

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