A l’opéra, quand le diable s’en mêle

opéra • Sur la scène lausannoise, «Faust» de Gounod revisité par la mise en scène de Stefano Poda ouvre une dimension métaphysique fascinante sur la violence et la beauté. D’une force suggestive, la musique alterne moments d’hallucination et touches d’humour.

une mise en scène et des décors visionnaires, chargés de symboles.

Si le livret ne retient de Faust que l’histoire de la séduction de Marguerite, l’opéra de Gounod laisse ouvert le champ d’une interprétation plus proche de l’œuvre de Goethe, laquelle a fasciné le compositeur dès son plus jeune âge. Or Gounod, cette œuvre incite à le rappeler, a songé à rentrer dans les ordres. S’il abandonne le sacerdoce, il ne renonce pas à sa foi et sera sa vie durant tiraillé entre le profane et le sacré. L’interprétation proposée à l’Opéra de Lausanne, en coproduction avec le Teatro Regio de Turin et le New Israeli Opera de Tel Aviv, ouvre une dimension métaphysique qui interroge et subjugue. Elle questionne la démoniaque alliance du vieux savant désabusé et de Mephisto, la grâce divine si chèrement payée, la vérité de Faust que l’amour révèle à lui-même humain, tellement humain.

La musique dit plus que le texte

Marguerite s’est laissée séduire par Faust qui, le diable aidant, a retrouvé sa jeunesse. Il l’aime, la quitte, revient la voir, fuit la vindicte populaire après avoir blessé à mort son frère qui l’a provoqué en duel. Maudite et désespérée, Marguerite tue l’enfant né de cet amour. On la condamne à l’échafaud. Faust, grâce à Méphisto, la rejoint dans son cachot et veut l’emmener. Elle refuse et s’en remet à la grâce divine qui lui ouvre le paradis. La musique dit plus que le texte. D’une force suggestive, impressionnante dès l’ouverture, elle alterne des passages purement instrumentaux, les scènes de foule, les moments d’hallucination, les sarcasmes sataniques, des touches d’humour réaliste, avec des moments d’un tendre lyrisme, naïf ou sensuel, et d’émouvants airs d’amour. Gounod témoigne d’une superbe maîtrise de l’écriture instrumentale, d’une remarquable connaissance de la voix et de la prosodie. La mise en scène de Stefano Poda, ses couleurs – la violence du rouge, l’opposition du blanc et du noir, le gris ensorcelant -, ses costumes, ses éclairages, se distancent de toute tentative de réalisme ou de naturalisme. Poda s’attache aux émotions, aux évocations visionnaires, encerclées dans un immense anneau qui s’élève ou s’abaisse sur la scène. La beauté, la violence parfois, la cohérence des symboles, qu’il n’est pas nécessaire de tous décrypter, fascinent, indiquent une perception philosophique, une ambiguïté de sens laissées à l’interprétation de chacun.

Une interprétation intense, soulignant les contrastes

Lors de la première il fallut, au début, que solistes et chœur trouvent leurs marques. Après l’entracte on était saisi. Précédé d’une réputation qui lui vaut d’être engagé partout, Paolo Fanale laisse l’impression d’un Faust un peu terne, alors que le Mephisto de Kenneth Kellogg convainc, même si ses basses ne sont pas très amples; il se montre d’autant plus satanique qu’il apparaît, à l’exception de quelques passages, d’un calme par là même envoûtant. Certes, le timbre dense et riche de Maria Katzarava n’est pas celui d’une jeune fille ingénue, mais elle touche infiniment, élégiaque ou dramatique. Régis Mengus, voix ample et assurée, est remarquable dans le rôle de Valentin, le frère de Marguerite. Excellentes prestations aussi de Benoìt Capt, Wagner, de Carine Séchaye, Siebel, le jeune amoureux évincé mais fidèle qui plaide le pardon, Martha Viotti, Marthe, la voisine qui, pour un peu, épouserait le diable. A part quelques décalages au premier acte, le chœur joue magnifiquement avec les nuances et les ambiances si variées de la partition. Mais c’est certainement à l’orchestre, l’OCL, et au chef, Jean-Yves Ossone, qu’il faut décerner les plus grands compliments. Leur interprétation, intense, soulignant les contrastes, aux tempi vifs, aux sonorités colorées sert magistralement la partition.

Opéra de Lausanne, jusqu’au12 juin