Les femmes cibles

la chronique féministe • Il y a quelques années, l’armée suisse avait imprimé des cibles de tir en forme de femmes, qu’elle avait retirées devant les protestations. Armée ou pas, les femmes restent la cible des injustices et des coups tordus. Quand on rassemble les informations qui les concernent, on est frappé-e par une constante: les pourcentages de 80 à 90%.

Elles sont 90% des victimes de la violence domestique, du harcèlement sexuel, des prostitué-e-s, des victimes de viols ; 80% à travailler à temps partiel, à assumer les tâches domestiques et éducatives, à figurer parmi les travailleurs pauvres, puis, logiquement, parmi les retraité-e-s pauvres. Du côté de l’éducation, les chiffres s’inversent: si elles sont 59% d’étudiantes, 47% de doctorantes, au bout de la chaîne, elles ne représentent plus que 23% de professeur-e-s d’université.

Cela vient du fait que le monde reste une affaire d’hommes. Cela dépend aussi de la façon dont la famille, l’école, la société considèrent encore les filles: de futures épouses et mères. Mardi 16.9, sur la radio suisse romande, l’invité-e du matin était Nouria Hernandez, biologiste de formation, chercheuse, rectrice de l’Université de Lausanne depuis le 1er août 2016. Elle relevait que lors d’un séminaire, les femmes vont s’asseoir sur des chaises, contre les murs, alors que les hommes s’installent autour de la table.

Les plaisanteries sexistes, symptômes de notre société encore largement machiste, fleurissent partout et forment le terreau universel qui entretient le sexisme et l’inégalité. Ce sont, dans la grande majorité des cas, des hommes qui les profèrent et les perpétuent. J’ai déjà parlé des voyages en car qui, invariablement, donnent droit à un florilège. C’est souvent l’accompagnateur, s’il y en a un, qui ouvre les feux, suivi par le chauffeur et quelques passagers. Les belles-mères sont une cible privilégiée, alors qu’elles constituent la majorité des client-e-s des voyages organisés. Et elles en rient, au lieu d’en critiquer l’ineptie. Ce que je fais à chaque fois, ne craignant pas d’essuyer l’opprobre. Dans mon vécu, lorsque je relève le sexisme des plaisanteries, je déclenche une agressivité non seulement de la part des blagueurs, mais aussi de celle des autres hommes présents, par solidarité, et, plus consternant, de la part des femmes. Elles devraient soutenir celle qui vole à leur secours. Non, elles se liguent contre elle avec les hommes. Ces réactions, récurrentes, m’ont beaucoup interpellée. J’ai fini par comprendre que toucher à l’édifice machiste de la société, c’est le mettre en danger. Les femmes qui réagissent ainsi ont été élevées pour devenir épouses et mères, elles ont intégré les normes d’une société patriarcale qui repose sur la répartition traditionnelle des rôles et l’exploitation des femmes. Mais ces réactions, je les ai aussi vécues sur mon lieu de travail, dans l’enseignement secondaire genevois. Parler du sexisme des manuels et de l’enseignement scolaires rend les gens fous. La hiérarchie craint comme la peste les oppositions viscérales du corps enseignant. Et rien ne change, ou presque.

Les blagues sexistes ne sont pas réservées à la population de base. Elles sont aussi l’étendard des politiciens (cf. ma chronique du 20.5.16), et des candidats aux plus hautes fonctions, comme Rodrigo Duterte, devenu président de la République des Philippines en juin. En 1989, une missionnaire australienne avait été violée et tuée lors d’une émeute dans une prison où elle officiait, à Davao, localité du sud dont Duterte était alors le maire.  Il avait dit, en campagne pour la présidence : « Ils ont violé toutes les femmes (…) Il y avait cette missionnaire australienne (…) J’ai vu son visage et je me suis dit, putain, quel dommage. Ils l’ont violée, ils ont tous attendu leur tour. J’étais en colère qu’ils l’aient violée mais elle était si belle. Je me suis dit, le maire aurait dû passer en premier. », devant un auditoire rigolard.

Pire (mais y a-t-il une hiérarchie dans l’obscénité?), Donald Trump n’y va pas de main morte durant son improbable (et de plus en plus menaçante) campagne présidentielle. Lors du premier débat télévisé organisé début août 2015, il avait été interrogé par la journaliste Magyn Kelly sur ses insultes sexistes. Plus tard, sur CNN, il a prétendu qu’elle lui avait posé des questions «injustes» parce qu’elle avait ses règles. «On pouvait voir du sang sortir de ses yeux, du sang sortir de son… où que ce soit.». En mars 2016, il écrit une demi-douzaine de messages en 48 heures contre elle, la traitant de folle. Le 18 avril 2015, il tweete, à propos d’Hillary Clinton: «Comment peut-elle satisfaire son pays si elle ne satisfait pas son mari?» Le 9 août dernier, il suggère aux militants du port d’arme de «faire quelque chose» pour empêcher Hillary Clinton d’être élue, propos qui ont été interprétés par certains observateurs comme un appel voilé à abattre la candidate démocrate.

Aux femmes mises en lumière par leur statut de candidate, de politicienne, de directrice, on ne pardonne rien. On scrute leur coiffure, leur habillement, leurs propos et on monte en épingle le moindre écart, ce qui n’est pas le cas pour leurs confrères.

D’où vient ce besoin, chez les hommes, de dénigrer, d’humilier les femmes, de les considérer comme des objets utilitaires ou sexuels? Même en privé, avec des ami-e-s. Un peu trop d’alcool, et voici les hommes les plus ouverts, intelligents, cultivés, prônant l’égalité, qui se lâchent, deviennent de lourds machos capables de balancer blagues sexistes sur blagues sexistes en rigolant grassement. Puis sont tout étonnés qu’on n’ait pas apprécié!

Mesdames, sachez que si vous sortez des clous, des rôles assignés aux femmes depuis la nuit des temps, vous aurez à en payer le prix. Fort.