L’ironie provocatrice d’un homme révolté

Musique • A l’affiche du Sinfonietta de Lausanne, la plus inattendue 9e symphonie, celle de Chostakovitch, qui aurait dû célébrer la gloire de Staline, mais où le sarcasme devient réquisitoire.

Chostakovitch a osé célébrer à sa façon la victoire de l’URSS en 1945.

Staline, en commandant à Chostakovitch une symphonie qui n’était pas par hasard la neuvième du compositeur russe, voulait qu’à l’instar de celle de Beethoven, ce soit une œuvre grandiose à sa gloire et à celle de l’URSS victorieuse, l’apothéose d’une trilogie après les deux symphonies de guerre, la 7e «Leningrad» et la 8e. Mais Chostakovitch livra une partition qui durait moins d’une demi-heure, sans chœur ni solistes, avec seulement 69 musiciens et dont il disait: «C’est une petite pièce très joyeuse. Les musiciens adoreront la jouer, et les critiques se délecteront à la dénigrer». En fait, à part le deuxième mouvement d’un intense lyrisme, qui pleure les morts et dit la souffrance désespérée de la guerre, la symphonie manie l’ironie et le sarcasme d’une façon délibérément provocatrice; et cela faillit coûter la vie au compositeur. Il eut beau prétendre qu’il voulait exprimer le soulagement et le plaisir des soldats de retour chez eux une fois la guerre terminée, personne ne fut dupe!

Un persiflage aussi amusant que dramatique

Cette 9e symphonie, créée le 3 novembre 1945 à Leningrad, comprend cinq mouvements dont les trois derniers s’enchaînent. Le quatrième, Largo, pourrait émouvoir comme la triste complainte du deuxième, Moderato, mais en un dernier trait goguenard du basson, il dérape volontairement vers un Allegretto qui, comme les autres parties rapides, joue avec des éléments parodiques, des allusions ironiques, un humour grinçant, des motifs disparates qui frisent parfois le mauvais goût, une pseudo-marche militaire. Il n’empêche, on ne s’ennuie pas à écouter cette œuvre; pourtant si on s’amuse et sourit par moments, on en décèle néanmoins ce qu’il y a de dramatique dans ce persiflage voulu par le compositeur. Nul doute que les musiciens du Sinfonietta «adoreront la jouer». Ils seront sous la direction de Thomas Sanderling. Né en 1942, ce chef d’orchestre a précisément vécu à Leningrad et rencontré Chostakovitch.

La soirée commencera par l’ouverture de la Khovantchina de Moussorgski (l’opéra, incomplet, a été réorchestré par Chostakovitch), avant la Symphonie n° 94 en sol majeur de Haydn, dite «la Surprise» à cause de son accord fortissimo avec coup de timbale dans l’Andante, juste après l’exposition du thème. Ce sera mardi 30 mai à 20h au Métropole à Lausanne.

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