Des miettes contre des milliards

Suisse • L’ébauche de nouvelle RIEIII présentée la semaine dernière a essuyé une volée de bois vert, notamment de la part de la gauche, qui n’a pas manqué de recadrer le débat en rappelant l’échec généralisé des politiques de sous-enchère fiscale, à l’image de celle pratiquée dans le canton de Lucerne, ou les failles de la RIEII.

Suite au rejet massif de la RIEIII en février dernier à près de 60% des suffrages, les grandes lignes d’une nouvelle version de la réforme, échafaudée par un «organe de pilotage» composé la Confédération et des cantons, ont été rendues publiques la semaine dernière. Le nouvellement baptisé «projet fiscal 17», doit encore être approuvé par le Conseil fédéral, qui préparera ensuite un texte à soumettre au parlement en 2018. Le projet est «insuffisant» ou «totalement insuffisant», comporte un risque de «pertes fiscales abyssales», «doit être corrigé», ou représente «des miettes pour la population, contre des milliards pour les multinationales», ont fustigé respectivement le PS, les Verts, l’USS et les Jeunes socialistes, loin d’approuver la nouvelle mouture.

De maigres compensations
Pour rappel, la RIEIII consacrait la fin des statuts fiscaux spéciaux des holdings et multinationales dont le siège se trouve en Suisse. De peur de les voir partir, elle introduisait toute une série d’outils nouveaux leur permettant de réduire drastiquement leurs impôts, laissant encore aux cantons la liberté de baisser leur taux d’imposition ordinaire des bénéfices de toutes les entreprises. Autant d’éléments qui figurent toujours au programme. Seul changement, la quantité d’instruments de baisse fiscale a été légèrement réduite, et de maigres compensations ont été ajoutées.

La possibilité de déduction des intérêts notionnels, qui avait essuyé les plus vives critiques, jusqu’à droite, a ainsi été retirée du projet. Deux autres instruments permettant aux sociétés de réduire leurs impôts sont en revanche maintenus: la patent box et la déduction des frais de recherche et de développement à hauteur de 150%. Mais les allégements fiscaux totaux obtenus grâce à ces instruments ne devront pas dépasser 70%, contre 80% pour la RIEIII initiale. Rappelons que d’autres outils comme la taxe sur le tonnage ou la suppression du droit de timbre sur l’émission du capital propre avaient été retirés de la RIEIII lors des débats parlementaires, mais n’ont pas disparu, puisqu’ils seront traités séparément.

Au chapitre des compensations pour les pertes fiscales subies, l’imposition partielle des dividendes est augmentée à 70% au niveau fédéral et «au moins 70%» au niveau cantonal. La mesure figurait dans la RIEIII initiale, mais avait été rejetée par le parlement. Le relèvement de 17% à 21,2% de la part des cantons au produit de l’impôt fédéral direct est quant à lui maintenu, mais une part devrait aller aux communes et villes, dont plusieurs avaient rejoint le camp de la fronde. Enfin, une hausse de 30 francs des allocations familiales est prévue.

Une mauvaise blague
A la jeunesse socialiste, la réaction est vive. «C’est une mauvaise blague. Les entreprises seront exonérées en milliard et nous ne recevons que des miettes», commente Tamara Funiciello, sa présidente, qui martèle dans un communiqué que «30 francs d’allocation familiale en plus contre des cadeaux fiscaux aux multinationales qui se comptent en milliards, c’est ôter à la population la formation, la santé et le service public… Alors que les 100 millions de dividendes qu’a ‘gagnés’ madame Martullo-Blocher sont imposés seulement à 70%»! Il faut du reste noter que les cantons romands pratiquent déjà des allocations familiales plus généreuses que leurs voisins alémaniques et ne verront donc aucun changement.

Chez les Verts, la mesure est qualifiée de «petit sucre qui n’améliore en rien la situation». Le PS revendique quant à lui une hausse de 100 francs, tout en soulignant également qu’«il est tout simplement impossible d’expliquer à la population pourquoi ses revenus devraient être imposés à 100% alors que les dividendes ne le seraient qu’à 70%». Et de revendiquer un retour à la situation d’avant la RIEII (acceptée de justesse en 2008), qui voyait les dividendes imposés dans leur totalité… sans pour autant que l’économie suisse ne se trouve au bord du gouffre! D’autres «effets pervers» de la RIEII, comme le principe de l’apport en capital, doivent également être revus, estiment le PS et les Verts. Pour rappel, la réforme avait coûté bien plus cher qu’annoncé.

Le PS dénonce enfin la «concurrence fiscale acharnée des cantons et des communes», que ne manquera pas de provoquer le nouveau projet tout comme l’ancien, et revendique un taux minimum d’imposition pour tous les cantons et communes. «La course à la sous-enchère ne produit que des perdants et des finances dévastées», martèle-t-il, rappelant, tout comme la Jeunesse socialiste, la situation du canton de Lucerne, qui a notamment dû octroyer une semaine de vacances supplémentaires aux écoliers faute de pouvoir financer le service de base qu’est la formation.

Recentrer le débat
Malgré l’échec patent des politiques de sous-enchère fiscale, illustré par la réalité de ce canton, qui a du reste récemment tenté de faire passer une hausse des impôts, mais aussi par Schwytz, qui a déjà revu son imposition à la hausse, ou encore Zoug qui envisage la même chose, aucune leçon n’est tirée. Ainsi, la pertinence de l’un des buts affiché du «projet fiscal 17», qui consiste à «garantir l’attrait de la Suisse» grâce à une fiscalité ultra-basse et uniquement par ce moyen, ne fait même plus débat. Pas plus que la question du départ des entreprises en cas de hausse de la fiscalité, présenté comme inéluctable. Ce sont pourtant bien ces éléments qu’il faudrait replacer au centre des discussions.