L’initiative dentaire met la droite sur les dents

Vaud • La campagne en faveur d'une assurance remboursant les soins dentaires est lancée. «Trop de gens renoncent aux soins par manque de moyens», argumentent les partisans, alors que les dentistes et la droite s’y opposent sur la base d’arguments essentiellement idéologiques.

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Le 4 mars, les Vaudois devront se prononcer sur l’initiative pour le remboursement des soins dentaires lancée par le POP et solidarités. Soutenue également par le PS, les Verts, plusieurs associations et syndicats, et même, suite au rejet de son contre-projet (notre édition du 1er décembre), par le Conseil d’Etat, elle demande l’instauration d’une assurance cantonale obligatoire pour rembourser les soins dentaires, le renforcement du dispositif de prévention de la santé bucco-dentaire et la création d’un réseau de policliniques dentaires régionales pour garantir l’accès aux soins.

L’assurance serait financée par un prélèvement paritaire de 0,5% sur les salaires, sur le modèle de l’AVS, ce qui représenterait 25 francs par mois pour un salaire mensuel de 5000 francs. Les enfants et parents retraités d’un salarié assuré seraient également couverts. «La plupart des gens qui actuellement veulent conclure une assurance privée doivent payer en moyenne 20 francs par mois et par personne pour n’avoir qu’une partie de leurs frais remboursés et avec une assez grosse franchise, alors que cette assurance aurait le mérite de couvrir l’ensemble de la population», confiait Brigitte Crottaz, diabétologue et Conseillère nationale socialiste à l’ATS lors du lancement de campagne des partisans de l’initiative.

Renoncer parce que c’est trop cher
Actuellement, selon l’OCDE, 89% des frais dentaires en Suisse sont assumés par les ménages, contre une moyenne OCDE de 54,2% (chiffres pour 2011). Ils se montent en moyenne à environ 500 francs par année et par personne selon les initiants, un soin imprévu pouvant rapidement atteindre plusieurs centaines voire milliers de francs. Or, selon le Rapport social vaudois paru en 2017, «27,7% de la population ne dispose d’aucune fortune» et n’est ainsi pas en mesure d’assumer une charge financière imprévisible sans risque de s’endetter ou de tomber dans la pauvreté. Ainsi, «de plus en plus de Suisses et Suissesses renoncent ou repoussent des soins dentaires en raison de leur coût», argumentent les initiants: entre 3 et 20% de la population selon les différentes études disponibles.

Les revenus modestes sont particulièrement touchés, et notamment les personnes âgées. «Les soins dentaires coûtent cher. Avec l’âge, ils peuvent souvent atteindre plusieurs milliers de francs. Or, de très nombreux retraités dont nous connaissons les faibles revenus se retrouvent en grande difficulté lorsqu’ils ont besoin de soins dentaires», relève Roland Rapaz, président de l’AVIVO Vaud, qui soutient l’initiative.

Les aides fournies par certaines communes ou dans certains cas par l’aide sociale, les prestations complémentaires ou d’autres régimes sociaux ne convainquent pas les initiants: «A part pour les prestations complémentaires, le montant de ces aides varie fortement d’une commune à l’autre», argumentent-ils. Même chose pour la prévention: «Pour l’heure, elle est reléguée aux communes, ce qui crée de très fortes disparités entre les régions», relève le pédiatre et ancien député POP Bernard Borel. La mise en place d’un réseau de policliniques, que propose l’initiative, devrait justement résoudre ces problèmes en permettant «de mener concrètement une politique de prévention et de soins (…) dans l’ensemble des régions».

Conserver un modèle basé sur une «philosophie libérale»

Du côté des professionnels de la santé, on se montre divisé. «La santé bucco-dentaire et la santé générale sont intimement liées», rappelle Brigitte Crottaz. Avec une soixantaine d’autres médecins, elle fait partie des premiers signataires d’un appel de soutien à l’initiative lancé au secteur de la santé.

Les médecins-dentistes se montrent quant à eux bien plus frileux, avec des arguments essentiellement idéologiques: «Nous sommes très sensibles à la conservation du modèle actuel basé sur une philosophie libérale, sur un rapport direct et individuel de patient à médecin, sans intervention d’un tiers et sans une étatisation de la médecine», argumente ainsi Olivier Marmy, de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO), au micro de l’ATS.

La SSO brandit également l’épouvantail d’une augmentation du coût global des soins dentaires, car les patients «ne seraient plus incités à prendre soin de leur hygiène bucco-dentaire», ou de négligence de la prévention du fait du remboursement des soins. «Le système en place fonctionne bien», estime-t-elle, affirmant que le nombre de personnes renonçant aux soins serait minime et soulignant que des aides existent déjà. Elle partage ainsi le credo de la droite, pour qui la «responsabilité individuelle» suffirait à tout résoudre.

«Les dentistes ont assez de travail avec les personnes qui peuvent payer. Ils n’ont donc pas de raison de se préoccuper de ceux qui n’ont pas les moyens. Par ailleurs, ils facturent leurs prestations comme ils veulent. Et il est connu que les frais dentaires sont largement surévalués en Suisse par rapport au reste de l’Europe. Une assurance impliquerait un contrôle des coûts dont les dentistes ne veulent pas», commente pour sa part Bernard Borel.

Du côté de la droite et des milieux patronaux, qui ont déjà manifesté avec obstination leur opposition à toute forme de prise en charge améliorée des soins lors des débats du Grand Conseil, faisant capoter le contre-projet du Conseil d’Etat, on s’insurge encore contre la «ponction insupportable» que représenterait une cotisation paritaire de 0,5% sur les salaires, tout en tentant de faire passer l’initiative pour un « dangereux projet d’extrême gauche », alors qu’elle est soutenue par une large coalition de partis et associations et par la majorité du Conseil d’Etat. Ce dernier avait du reste reconnu la nécessité d’agir dans le domaine en présentant un contre-projet. Questionné par la presse sur le montant engagé dans sa campagne, le comité de droite opposé à l’initiative n’a donné aucune information.

Le vote vaudois sera scruté attentivement au-delà du canton et en particulier à Genève, Neuchâtel, et en Valais, où des initiatives similaires ont été lancées.