Suspense sur les multinationales responsables

Suisse • Y aura-t-il un contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables? Et quelle sera sa teneur? L'initiative sera-t-elle retirée? Le conseil national doit se pencher sur le sujet le 14 juin, après plusieurs rebondissements.

L’initiative vise des entreprises comme Glencore, plusieurs fois critiquée pour ne pas respecter les droits humains ou l’environnement à l’étranger. (cc Lock the Gate Alliance)

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La droite est divisée quant à l’attitude à adopter sur l’initiative pour des multinationales responsables. Faut-il oui ou non opposer un contre-projet à cette initiative qui demande des règles contraignantes pour que les entreprises multinationales basées en Suisse respectent les droits humains et l’environnement aussi à l’étranger? En d’autres termes, ce texte soutenu par plus 80 organisations de la société civile et près de 80% de la population selon un sondage de novembre 2017 fait-il suffisamment peur à droite pour qu’on lui oppose un contre-projet? La question sera débattue au conseil national le 14 juin.

Tergiversations

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage de cet objet aux chambres fédérales est parsemé de rebondissements. Pour commencer, le Conseil fédéral avait recommandé en septembre dernier de rejeter l’initiative sans contre-projet. Dans un contexte post Paradise papers, la commission compétente du conseil des Etats avait cependant pris une position différente et décidé d’élaborer un contre-projet. Mais celui-ci était balayé peu après par sa consœur du national, notamment suite à l’intervention remarquée de la représentante d’Economiesuisse Magdalena Martullo Blocher. Quelques semaines plus tard, un membre de cette même commission, le conseiller national Karl Vogler (PCS/OW), amenait malgré tout un nouveau contre-projet (indirect) sur la table, intégré à la révision en cours du droit des sociétés anonymes, contre-projet finalement adopté par la commission par 18 voix contre 1 et 2 abstentions.

L’objectif déclaré: obtenir le retrait de l’initiative qui, au final, semble tout de même faire peur. «La commission attend du comité d’initiative qu’il s’engage publiquement et avec force obligatoire, sur la base d’une décision prise par l’ensemble de ses membres, à retirer son texte si le contre-projet indirect est adopté conformément aux propositions formulées par la commission», précise d’ailleurs un rapport explicatif accompagnant le contre-projet.

Cette version bien évidemment allégée de l’initiative, qui ne concernerait notamment plus que les entreprises les plus grandes – dépassant un chiffre d’affaires de 80 millions de francs, 500 emplois à plein-temps et un bilan de plus de 40 millions – a obtenu le soutien du Groupement des Entreprises Multinationales (GEM), une association économique faîtière qui réunit 90 entreprises transnationales. Elle se heurte cependant toujours à l’opposition d’Economiesuisse ou encore de Swissholding, qui défendent de longue date des mesures «volontaires» de la part des entreprises, quand bien même ce type de solution a démontré son inefficacité.

Selon le quotidien 24 heures, le soutien de certains milieux économiques à un contre-projet serait notamment lié à un autre dossier, celui de la réforme de la fiscalité des entreprises (PF17): «Pour les entreprises, ce serait très difficile de mener ces deux campagnes de vote à la suite. Imaginez: on dirait d’abord aux citoyens que des entreprises ne respectent pas les droits humains et, ensuite, on leur demanderait de baisser leur fiscalité», explique le conseiller national Karl Vogler (PCS/OW) au quotidien vaudois. Un retrait de l’initiative permettrait en revanche d’éviter un débat public sur le non-respect des droits humains de la part de certaines entreprises à l’étranger.
Reste à savoir comment ces différents milieux parviendront à peser sur les décisions du parlement.

Les initiants dans l’expectative
Les initiants, quant à eux, se sont dits prêts à retirer leur initiative si «la proposition initiale de contre-projet indirect soumise par Karl Vogler» devait être adoptée, ceci quand bien même celle-ci «implique des concessions difficiles. En effet, un nombre plus restreint d’entreprises serait concerné et la responsabilité civile serait limitée de diverses manières». Toute modification ultérieure apportée par le parlement à cette version nécessiterait cependant un nouvel examen de la part du comité d’initiative, avertissent-ils. Ainsi, la question d’un retrait de l’initiative «reste ouverte et dépendra des décisions des deux chambres. Par conséquent, l’association de l’initiative pour des multinationales responsables et ses nombreux bénévoles continueront de s’engager pleinement pour préparer la campagne de votation», précisent encore les initiants.

Pour rappel, l’initiative demande des règles contraignantes pour que les entreprises basées en Suisse respectent les droits humains et l’environnement aussi dans leurs activités à l’étranger, notamment via l’introduction dans la loi d’un devoir de diligence. Celui-ci obligerait les sociétés à vérifier si leurs activités à l’étranger conduisent à des violations des droits humains ou des standards environnementaux, à prendre des mesures pour y remédier et à rendre des comptes, faute de quoi elles pourraient être amenées à répondre de leurs manquements devant les tribunaux suisses.