Des femmes libres au Moyen Age!

Grève des femmes • La députée genevoise Salika Wenger revient sur le mouvement flamand des béguines, regroupement de femmes souvent laïques, qui finiront persécutées par les autorités ecclésiastiques

Les béguinages, comme ici celui de Courtrai , sont de véritables villages dans la ville, permettant la vie autonome des béguines. (Paul Hermans)

Il est rare que dans notre journal nous abordions les problèmes religieux. Or l’exemple donné ci-dessous nous démontre que les femmes ont toujours cherché à se libérer de la domination masculine et qu’à chaque époque, elles ont utilisé les armes dont elles disposaient pour ce faire. C’est donc avec une certaine admiration que nous vous présentons ces femmes de la Hanse, des femmes qui ont lutté pour leur liberté.

A la fin du XIIe siècle, un grand nombre de femmes désirent entrer dans la vie religieuse. Le phénomène est partiellement dû à une surpopulation féminine au moment des Croisades, entre 1092 et 1270. Les couvents sont alors pleins. Un numerus clausus est d’ailleurs fixé par le Concile de Latran de 1215. D’autres formes de vie religieuse sont donc recherchées.

Dans la ville Lubeck, vers 1173 une communauté de filles et de veuves prit le nom de béguines. Cette communauté ne tarda pas à s’étendre en Flandre et dans la région rhénane. Ces communautés restent laïques, vivant en autogestion. Dès leur constitution, n’ayant fait vœu d’appartenance à aucun ordre religieux, elles ont notamment une liberté d’action caritative que n’avaient pas les moniales cloîtrées. Elles s’installent souvent à proximité d’une église paroissiale. Leurs logis sont indépendants, mais, rassemblés pour mieux se protéger et s’entraider, ils forment ainsi un béguinage. Cependant, il arrive qu’elles puissent tout aussi bien vivre dans leur famille, voire avec un époux.

A travers une règle de vie très souple, les béguines cherchent une nouvelle manière d’exprimer leur foi. C’est une sorte de démocratie avant l’heure. Il n’y a pas de mère supérieure, juste une «Grande Dame», élue pour quelques années.

De même, chaque béguinage édicte ses propres règles, toujours modifiables. Rien n’est imposé: ni l’habillement, ni l’habitat. Elles peuvent aussi choisir de faire un vœu, souvent de chasteté (avec l’accord de leur époux si elles étaient mariées), parfois de pauvreté, exceptionnellement d’obéissance. La plupart des béguines vivent seules dans une petite maison où elles prennent leur repas. Le travail, moyen d’émancipation économique, fait partie de leur existence. Elles s’occupent du blanchissage des draps, du lavage de la laine, parfois même du foulage, travaillent à la ferme ou sur les chantiers. Les plus instruites se tournent vers l’enseignement. Enfin, grâce aux infirmeries présentes dans les béguinages, elles acquièrent un savoir-faire médical très recherché.

A l’origine, beaucoup de béguines travaillent pour gagner leur vie et l’argent de leurs aumônes. Elles possèdent parfois leurs propres ateliers, notamment de tissage, mais aussi de poterie et de copie de livres. L’emploi comme domestique, notamment dans les hôpitaux, en raison du dévouement aux pauvres et aux malades exigé, est aussi très fréquent chez elles. La quasi-sainteté de leur mode de vie attire aussi des femmes plus riches et cultivées, qui font administrer leurs biens de manière à distribuer en aumônes leurs revenus. Parmi les béguines les plus instruites, on compte notamment Mechthild de Magdebourg, auteure du premier ouvrage pieux en langue populaire.

Le mouvement des béguines séduit parce qu’il propose aux femmes d’exister en n’étant ni fille, ni épouse, ni moniales, affranchie de toute domination masculine. Mais leurs productions, textile notamment, sont en concurrences avec celles des marchand-fabricants. Bientôt les corporations s’opposent à elles, notamment la corporation des tisserands de Diest, qui leur interdit le tissage. Dans certaines villes, leurs métiers à tisser sont confisqués et elles ne peuvent plus faire appel au travail journalier. La guerre commerciale entre les marchands et les Béguines sera sans merci!

Les béguines, ne prononçant pas de vœux, restent laïques, donc hors de la tutelle de la hiérarchie ecclésiastique. Celle-ci voit d’abord d’un bon œil cette expression de la piété et cette pauvreté voulue et assumée, mais le clergé séculier et les ordres monastiques se sentent concurrencés et s’estiment dépossédés des donations et legs reçus par les béguines. Mais les réticences vont au-delà: la vie sans règle précise, la liberté de ces femmes, paraissent aberrantes aux clercs de l’Université.

En deux siècles, les béguines disparurent partout en Europe, sauf en Flandre. En 1319, une Bulle papale les autorise à poursuivre l’exercice de leur foi. Les béguines de cette région ont renoncé à un certain radicalisme et accepté de se rapprocher de l’Église. Dès lors, leurs communautés fonctionnent comme des paroisses. Au XIXe siècle, sous le coup de confiscations et d’interdictions, le mouvement béguinal flamand s’essouffle à son tour. Commence alors le déclin semblable à celui des autres obédiences religieuses.

Il n’aura échappé à personne que cette lutte des femmes pour leur liberté va de pair avec une lutte que nous connaissons bien, celle de l’égalité dans le travail et celle du partage des tâches et des responsabilités. Force est de constater qu’aujourd’hui au XXIe siècle les revendications restent identiques même si quelques avancées ont pu prétendre y remédier.

La lutte continue!