La danse revient

SPECTACLE • Dans le cadre de «Genève en été», programmation mettant en valeur la créativité artistique, quatre figures de proue de la danse contemporaine genevoise refigurent les mesures de distanciation sociale. Au fil de deux pièces réalisées bien avant la pandémie.

"JINX 103" ou l'art du rebond et du saut en étoile. Photo: Gregory Batardon

Morning Sun, ce sont deux danseuses – Marthe Krummenacher et Perrine Valli – encadrées de rectangles de gazon artificiel. Entre elles, une distanciation sociale, corporelle. Si fidèle par anticipation imaginaire aux contraintes posturales sous crise sanitaire.

Mouvement rêvé

Doucement sur les volutes lancinantes conçues par le Genevois Eric Linder, les interprètes ondulent telle d’antiques parthes ou Déités dévolues à un érotisme diffus. Une sensualité graphique un peu froide tout en sinuosités et dégagements du bassin. Le mouvement, lui, repasse souvent dans la même boucle, comme pris dans un ruban de Moebius.

Une animalité à demi consciente ouvre sur l’éclosion d’un mouvement lent, fluide coulissant comme venu du rêve. En synchronie souvent absolue, on écarte les bras comme pour une salutation au soleil. Plus loin les mouvements sémaphoriques, assouplis ou arrondis. Les anatomies ont cette beauté nonchalante alliant la fresque et la statuaire antique et indienne.

Influence picturale

Dans Morning Sun imaginé à partir d’une toile d’Edward Hopper, la chorégraphe et danseuse Perrine Valli aborde la question de l’autre, du double, de la sororité. Elle poursuit un travail sur le fil tendu entre narration et abstraction. Mais aussi une recherche sur la représentation de l’intérieur et de l’extérieur, qui peut être vue comme une allégorie du lien de désir entre les corps.

Morning Sun, la composition de Hopper peinte en 1952, dévoile une femme – l’épouse du peintre – ne laissant transpirer nulle émotion. Le visage paraît inanimé, à l’instar de celui des danseuses de la chorégraphie. Comme une enveloppe dans laquelle chacun peut se glisser.

Tradition et modernité

Signé par la compagnie József Trefeli, JINX 103 est le pas de deux scandé par les pulsations des chaussures au sols et les cris de interprètes. L’oeuvre mêle la grammaire dansée des folklores hongrois (danse sautée, danse des berger…)  à du contemporain égrenant déséquilibres, sauts et marches ainsi que puissances percussives corporelles. Se tuilent ainsi coups de pied latéraux, torsions et tricotages de jambes, coups de pied hauts comme dans les arts martiaux et sauts tournoyant avec des corps fléchés en sauts.

Encerclés par le public, József Trefeli et Gabor Varga se font des arpenteurs des distances, étendant un ruban de signalisation caractéristique des zones de chantiers, des aires interdites sous Covid-19 ou scènes de crimes. «Dans la danse traditionnelle, ce que l’on aime, c’est l’envie et la nécessité de danser. Au sein du contemporain, c’est la déconstruction, la variété des formes et expressions. Les deux formes se fertilisent et contaminent mutuellement», explique József Trefeli en entrevue.

Conjuration

La rubalise, elle, incarne cet espace entre les danseurs eux-mêmes et avec le public. Mais aussi un entre-deux de construction. «On est alors plus proche de la danse traditionnelle où l’on fait de l’espace là où on en envie de danser».

Et le titre de la chorégraphie ? «Dans de nombreuses langues, si deux personnes disent fortuitement la même chose en même temps, un mot est à proférer pour conjurer la malchance. Les Français disent « chips », les Anglais « jinx » et les Hongrois « 103 »», précise encore József Trefeli .

Morning Sun & JINX 103, deux chorégraphies avec Perrine Valli, Marthe Krummenacher, József Trefeli et Gábor Varga. Jusqu’au 18 août. Parc et divers lieux à Genève. Rens.: geneveenete.ch
Voir JINX 103 sur internet:  www.vimeo.com/42513458