Le 27 avril 2017, j’avais publié dans Gauchebdo une chronique intitulée «Le combat exemplaire de François Ruffin». Il s’agissait alors d’évoquer les débuts de F. Ruffin comme journaliste (son journal Fakir) et cinéaste (son film Merci Patron!), puis de présenter certains aspects de sa campagne électorale alors qu’il briguait un siège de député dans la Somme où il réside.
Je voudrais continuer ici par une brève analyse de sa carrière politique depuis 2017, maintenant qu’il siège à l’Assemblée nationale. Ces lignes permettront aussi d’esquisser le portrait d’un homme remarquable.
Mais revenons d’abord aux circonstances de son élection. En 2017, il fait campagne pour Picardie debout avec le soutien de la France insoumise, du PCF (dont sa suppléante est membre), d’EELV et d’Ensemble!. Le soir du premier tour, il remporte plus de 24% des voix et se qualifie pour le second tour face à un candidat macronien. Il est élu au second tour avec près de 56% des suffrages, avec l’appui de la candidate du PS. Il décide de ne garder que le SMIC sur ses indemnités de député et s’engage à démissionner si 25% des inscrits de sa circonscription le demandent. Il siège à l’Assemblée nationale dans le groupe La France insoumise, bien qu’il soit très indépendant par rapport à elle et qu’il reverse sa dotation de député au PCF.
Un trait de l’action politique de François Ruffin est d’abord l’enracinement dans les milieux qu’il a choisi de défendre. On le voit quand après avoir été primé pour le film Merci Patron!, il remet son trophée aux ouvriers de Whirlpool, qui se battent contre la délocalisation de leur usine. On le voit encore quand il lance sa campagne en présence d’ouvriers de cette usine. Il n’a cessé depuis lors d’être en contact avec celles et ceux qui se battent, comme on a pu le constater durant la lutte des Gilets jaunes, quand il participe au premier samedi de mobilisation, quand il se rend sur les ronds- points de la Somme, quand il accompagne les Gilets jaunes de Picardie à Paris, puis quand il visite pendant huit jours différents ronds-points et en tire le film J’veux du soleil.
Un autre trait de son action, qu’il doit sans doute à son métier de journaliste, est sa constante écoute des gens: comme le reporter enquête pour ensuite rapporter dans la presse la réalité qu’il a observée, l’élu Ruffin interroge beaucoup autour de lui et rassemble une quantité d’informations. Si le journaliste attend de son travail qu’il ébranle le public, le politicien inspiré par ses méthodes va en plus faire remonter les informations en haut lieu et tenter de faire changer les choses en agissant aux plans administratif et législatif. Quand il repère un problème, il s’adresse aussitôt aux personnes concernées. Ainsi durant le confinement, remarquant que des salariés travaillent encore sans protection, il téléphone au délégué CGT de Valeo, à un employé d’Amazon, à un salarié et au directeur de Dunlop, pour savoir comment la situation sanitaire est gérée dans ces divers sites.
Porte-voix des travailleurs, le parlementaire François Ruffin s’est consacré à certaines causes qui les concernent prioritairement. Il s’est battu pour les conditions de travail dans les maisons de retraite, pour le budget des hôpitaux psychiatriques, pour les intérimaires de l’usine Whirlpool d’Amiens, pour faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, pour l’égalité salariale entre hommes et femmes. A ce sujet, il a comparé le salaire des femmes de ménage de l’Assemblée nationale au revenu des députés et réclamé pour elles, qui sont sous le salaire minimum, l’intégration dans le personnel de l’Assemblée et un statut professionnel. Mais il s’est aussi battu pour taxer les gros transferts dans le football en faveur du sport amateur, pour les chemins de fer de proximité et pour interdire les lignes aériennes quand le train peut efficacement les remplacer.
François Ruffin propose un programme original, qui a le mérite à la fois de défendre l’emploi et d’appeler à un changement de système économique. Protectionniste et partisan de l’Etat national en tant qu’il est garant du bien-être des citoyen.ne.s, François Ruffin est aussi un adepte de la décroissance, avec un rejet du développement technologique. A propos du protectionnisme il déclare: «La relocalisation, sans ça, c’est du bidon, les circuits courts pour le décor, si on ne place pas des taxes, des taxes, des taxes, comme des cailloux dans la machine infernale, pour l’entraver». Et sur la décroissance, il dit: «Quand comme cap pour notre continent, avec notre histoire, avec nos sentiments, les technocrates de Bruxelles n’ont que la 6G à offrir, c’est le symptôme d’un vide, d’un vide politique, d’un vide d’espérance… C’est une impasse écologique, mais même une impasse existentielle… L’absurdité éclate, tant c’est désormais patent: le progrès ne passe plus par la technologie, c’est fini».
François Ruffin sait aussi que l’unité seule mène au succès. Pour combattre le capitalisme, il œuvre, avec le moins d’exclusives possible, à rassembler les classes populaires et les intellectuels, et dans les classes populaires, à rapprocher la classe ouvrière et la classe moyenne défavorisée. Il veut de plus réunir la gauche qui défend les travailleurs et celle qui défend l’environnement. Au plan des organisations, il se réfère aussi bien aux partis de gauche qu’aux syndicats, et il dialogue même avec les partisans de l’ «effondrement». En fédérant les oppositions lors de la Fête à Macron en 2018, il a rassemblé des étudiants, des cheminots, des postiers, du personnel de santé, des gens de la CGT, de Sud, de la France insoumise, du PCF, du NPA.
L’actuelle crise du coronavirus montre bien l’esprit dans lequel François Ruffin agit. Il collabore sans relâche avec des membres du personnel hospitalier pour venir à bout des pénuries qui empêchent de soigner les malades. Il lutte aussi pour obtenir que sur les lieux de travail, des mesures de protection plus efficaces soient adoptées. Mais avec son sens de l’humain, il déplore également les mesures technocratiques et autoritaires du gouvernement. Il écrit: «A la boulangerie, je regarde la file, un mètre entre chaque personne, la distance est respectée, le voisin un peu suspect, quelle tristesse que ce spectacle immobile! Au fond, ce virus nous encourage à l’individualisme, à la méfiance, à la «distanciation sociale», qui est déjà la pente de l’époque». Citons encore ce jugement d’ensemble: «A la place de la vaste remise en cause, celle des élites, de leur politique, que sous-entendait le «Il y aura un avant et un après», on devine désormais, dans le «Nous ne vivrons plus comme avant», un deuil qui nous est réclamé, le deuil de l’«avant», l’innocence perdue, la joie prohibée, nos enfants masqués, les peuples enfermés, les droits de réunion et de manifestation suspendus, la surveillance renforcée, avec un cortège de drones, de couvre-feux et de laissez-passer. Voilà leur monde d’après» (1).
Dans le climat présent, l’action de porte-parole des milieux populaires de François Ruffin est d’une grande utilité. Reste à savoir s’il endossera un jour le rôle difficile d’un vrai leader populaire sachant écouter celles et ceux d’en bas en leur restant fidèle.
1 Les informations et citations sont empruntées au site https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Ruffin, et à deux de ses livres, Il est où, le bonheur, Les Liens qui Libèrent, 2019 et Leur folie, nos vies, la bataille de l’après, Les Liens qui Libèrent, 2020.
On trouve d’autre part une très intéressante interview du 11 juin 2020 sur www.youtube.com/watch?v=jM4DsLNZgZg