L’image dans tous ses états et formats

Exposition • Des Maldives en voie de naufrage climatique aux archétypes et sujets de société nord-américains refigurés en Suisse, la Biennale Images Vevey étonne et désarçonne.

Les habitant des Maldives seront bientôt submergés par la montée des eaux, conséquence directe du réchauffement climatique, dans l’indifférence touristique. (Edoardo Delille & Giulia Piermartirii)

Cosigné par Edoardo Delille et Giulia Permatri, « Diving Maldives » s’emploie à documenter l’inexorable montée des eaux aux Maldives qui seront englouties d’ici à 2050 et à l’épineux problème des réfugiés climatiques. Ceci alors que l’ONU a rendu en janvier dernier une décision historique. Les gouvernements doivent désormais prendre en considération les violations des droits humains causées par la crise climatique lorsqu’ils envisagent d’expulser des demandeurs d’asile.

Surimpression d’univers

Ce micro-État touristique de l’Océan indien est l’un des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique, avec 80% des terres situées à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer. Le tandem Delille-Permatri projette les images sous-marines prises par des touristes. «Il y a toujours plusieurs couches de sens superposées dans nos 49 expositions-installations. Ainsi un enfant peut avoir autant de plaisir que des spécialistes adultes de la photo à les découvrir et les parcourir», souligne le directeur de la manifestation veveysanne, Stefano Stoll.

Hésitant entre performance visuelle ambiguë immersive et constat décalé lié aux destins villes côtières condamnées à disparaître, les images sont déployées sur des panneaux dans un jardin bordant le lac. Rappelons enfin qu’aux Maldives, le tourisme est la principale ressource du pays, atteignant près de 41% du PIB en 2016, procurant près de 20% des emplois.

Archétypes américains et suisses

La surimpression des deux images, l’une de milliers de personnes condamnées à l’exil et l’autre de touristes en vues subaquatiques est aussi fascinante que dramatique, les deux univers s’ignorant habituellement mutuellement. Elle rejoint l’idée du «sublime» en histoire de l’art liée à la ruine et au désastre. Due à Gaia Baur, 22 ans, étudiante à l’Ecole de Photographie de Vevey, sa série présentée en section parallèle Make Switzerland Great Again fait référence au désormais célèbre slogan utilisé lors de la campagne électorale trumpienne en 2016.

Naviguant entre fiction et documentaire, les situations imaginées par l’artiste nous transportent dans un pays hybride, où se mêlent les stéréotypes des États-Unis et de la Suisse. «C’est l’essai de mettre en scène dans notre pays avec des acteurs et scénographies locales des réalités nord- américaines», explique Stefano Stoll.

Par sa mère œuvrant dans le domaine pédagogique, la photographe s’intéresse à l’éducation sexuelle par l’abstinence, le consentement, l’armement des enfants. Ou l’auto-ségrégation. Soit la séparation d’un groupe religieux ou ethnique du reste de la société par le groupe lui-même. Puisant ses figurants dans les écoles de théâtre, elle organise ses prises de vues avec des participants interrogeant les sujets mentionnés. «Je questionne ces clichés que l’on a l’habitude de croiser dans films et médias et importés de la culture américaine. Pour soulever de manière médiane, subliminale ces, sérieuses et graves problématiques».

Tableaux vivants

Ainsi la thématique du scoutisme et l’inclusion des filles dans la Boy Scout of America (BSA). En sous-bois romands, des performers adolescents, vêtus comme des scouts reproduisent une scène de bataille dans le sillage de la photo iconique de l’Américain Jeff Wall, Dead Troops Talk (1992) refigurant, avec des acteurs canadiens, une embuscade dont l’Armée rouge fut victime en Afghanistan. La jeune femme souligne qu’à l’origine, «certaines valeurs scouts restent étroitement liées tant à la religion qu’au nationalisme.» Dans une vision édénique proche de la peinture d’histoire alpestre idyllique et de la photographie historique de paysage américaine, un père couve tendrement son fils enfant portant amoureusement un fusil d’assaut.

Ombres allongées et four à barbecue en pierre complètent une épiphanie que n’aurait pas reniée la National Rifle Association, principal lobby pro-armes nord-américain. Pour mémoire, le nombre d’Américains morts par armes à feu en 2019 a dépassé, en moins de trois mois, toutes les pertes subies par les troupes de l’Oncle Sam lors du D-Day, le 6 juin 1944 en Normandie. Jusqu’au malaise cette scène est troublante. «La quête de reconnaissance du fils pour son père, se marque par son sourire, souligne l’artiste. Et la présence de l’arme trop lourde et imposante pour le bambin accentue le sentiment de malaise. Cette image est terrifiante».

Chances inégales à la naissance

Sorte de machinerie en mouvement perpétuel, toutefois épisodiquement à l’arrêt, La Roue de la fortune due à l’artiste contemporain français Christian Boltanski questionne les thèmes universels de l’aléatoire et du destin. «C’est une installation de plus 15 mètres de longueur créée pour la Biennale de Venise en 2011. On y entre comme on le ferait dans une imprimerie. L’œuvre suggère que les enfants ne choisissent pas leur famille. C’est le début d’un processus qui doit ainsi beaucoup au hasard. Face à ce dispositif, deux compteurs indiquent, en temps réel, le nombre de naissances et de décès dans le monde», détaille Stefano Stoll.

L’installation est ainsi composée pour partie d’un gigantesque échafaudage portant un long rouleau qui fait défiler des dizaines de portraits imprimés de nouveau-nés. Ils sont tirés des pages consacrées aux naissances d’un journal polonais. Rien ne distingue ces bébés entre eux. Mais chacun connaîtra un destin singulier influencé par les données sociales et familiales.

Images Vevey, Jusqu’au 27 septembre. Rens.: images.ch
Site des artistes: edoardodelille.com et gaiabaur.com