Les poètes nous disent: «courage!»

La chronique de Jean-Marie Meilland • Cédons la parole aux poètes, pour le temps d’une ample et bénéfique respiration.

Nous construisons le monde/ Qui nous le rendra bien.
Guillevic

Menaces de la pandémie. Menaces sur l’économie et l’emploi. Menaces sur le climat et les espèces vivantes. Menaces sur les ressources et sur notre mode de vie. Nous nous portons bien mal, assis sur une branche que nous continuons en même temps de scier. Nous sommes au summum de l’anxiété. Il est difficile de choisir le maximum de sécurité sanitaire si la société doit sombrer dans la dépression économique et psychique. Privés d’une vision un peu claire de ce que l’avenir pourrait être, fatigués sinon épuisés, cédons la parole aux poètes, pour le temps d’une ample et bénéfique respiration. Eux qui ne sont tenus ni au résultat ni aux approches spécialisées, eux qui ne sont pas des dieux mais dont le large coeur est ouvert au plus profond de l’humain, nous ouvrent des horizons libérateurs que par ailleurs on n’a plus guère la force d’envisager.

La personne se sent mal, à l’étroit, dans les circonstances actuelles, et pourrait dire:
«Je ne vois plus le jour/ Qu’au travers de ma nuit,/ C’est un petit bruit sourd/ Dans un autre pays » (Jules Supervielle). Elle pourrait ajouter ce constat de Maurice Fombeure (1): «Ombre songe ou doute/ Au pas du cheval/ Sur l’ennui des routes/ D’amonts en avals/… La mélancolie/ Nous accable tous…». L’inquiétude nous étreint, que va-t-il arriver demain? Le poète gallois Idris Davies fait ainsi dialoguer les cloches de son pays: «Ô que pouvez-vous me donner?/ Disent les cloches tristes de Rhymney./ Y a-t-il de l’espoir pour l’avenir?/ Pleurent les cloches brunes de Merthyr.// …Tout irait bien si – si – si -/ Disent les cloches vertes de Cardiff. Pourquoi tant de soucis, mes Soeurs, pourquoi?/ Chantent les cloches d’argent de Wye » (trad. par nous).

Face aux duretés du monde, se présente toujours d’abord la consolation de la nature. Laissons-nous émerveiller par des poèmes japonais: «Juste assez de douceur/ Pour qu’au prunier une fleur,/ Après l’autre, éclose.» (Hattori Ransetsu), «Tombée de la branche/ Une fleur y est retournée:/ C’était un papillon» (Arakida Moritake), «Dans la haie une brèche reste ouverte:/ C’est exprès pour que les faons/ Puissent passer» (Kawai Sora). Et voici un regard sur la forêt: «Les sapins en bonnets pointus/ De longues robes revêtus/ Comme des astrologues/ Saluent leurs frères abattus/ Les bateaux qui sur le Rhin voguent» (Guillaume Apollinaire). L’attention de Francis Jammes aux choses est toute de délicatesse: «Dans l’eau tiède filent les poissons blancs/ auprès d’arbres noirs/ dont l’ombre sur l’eau tremble doucement/ au soleil du soir».

Et du fond des soucis et des peines, il faut prendre courage. M. Fombeure regarde l’épaisseur de la vie qu’il faut de toute manière aimer: «Ô ma vie comme un pain rond et lourd/ Je te porte en ce dur matin clair./ Vieille terre aux rides des labours,/ Je suis vif et bleu comme un éclair!». Et l’on peut laisser grandir en soi l’enthousiasme: «Les gens s’en allaient/ et l’automne venait./ Les gens/ s’en allaient au vert/ avec leurs coqs/ et leur guitare en fête/ par le royaume/ des graines./ Le fleuve songeait,/ coulait la fontaine./ Bondis/ ô coeur brûlant!» (F. Garcia Lorca). La joie de vivre est toujours à cueillir, ainsi M. Fombeure chante-t-il le vin: «Le litre est le clairon du brave,/ La trompette du travailleur,/ L’olifant du roi, du margrave,/ Le cri viril du rempailleur,/ …Sa fonction elle est noble et grave:/ Il nous fait le monde meilleur». Le même poète nous montre aussi un chemin d’espoir: «Sur la suie de ma cheminée/ Brillent les signes du destin./ J’écoute couler les années,/ – Le monde est neuf chaque matin – ». Et André Frénaud célèbre le 14 Juillet: «Et l’ivresse de fraternité des hommes dans les rues,/ …C’est le triomphe de la tendresse,/ l’artifice qui va ranimer,/ devant, derrière, les journées grises ». Francis Jammes évoque la beauté du travail: «Ce sont les travaux de l’homme qui sont grands:/ celui qui met le lait dans les vases de bois,/ celui qui cueille les épis de blé piquants et droits,/ …celui qui tisse et fait un bruit retombant,/ lorsqu’à minuit les grillons chantent aigrement…». Et voici un petit tableau de la vie comme elle est (même si elle pourrait être meilleure): «Ta mère est à la danse/ ton père au cabaret/ et moi je suis ici/ à garder le petit./ Ta mère est à la danse/ ton père au cabaret/ et moi je suis ici/ à tourner la bouillie » (Max Jacob). L’idée de protéger absolument peut générer la peur: «Ne laissez pas/ Les enfants jouer avec la serrure/ Ne laissez pas/ Les enfants jouer avec leur nature/ Ne laissez pas/ Les enfants contempler la nature/ Ne laissez pas/ D’empreintes de pouces sur les oeufs durs» (M. Fombeure). Mais la mort, quoi qu’on y fasse, peut survenir, comme l’écrit aussi M. Fombeure: «Si la mort vient, ferme la porte,/ Baisse l’éclairage au néon,/ Le serpent laisse sa peau morte/ Le coeur plie son accordéon». C’est pourtant dans un festival où la force vitale explose qu’on tournera les pages des jours sombres: «Foin…/ Des trublions, des nénufars,/ …Des Marquis, des chefs de fanfares,/ …Des cocus, des gardiens de phares!// Vive les troubles, les truands,/ Les tondus, les tonitruants/ …Tous ceux qui sont sortis du rang/ Et ran et ran et ranplanplan!» (M. Fombeure). Et l’appel du même résonne: «Il me faut des rires/ Des poignées de mains…/ Chasser le délire/ Des vents inhumains».

Les poètes nous disent d’attendre avec confiance des jours heureux. Au Moyen Age, Rutebeuf affirme: «L’espérance du lendemain,/ voilà mes fêtes!». Eluard annonce un monde réconcilié: «Là se dressent les mille murs/ De nos maisons vieillissant bien…// Là tous les travaux sont faciles/ Et l’objet caresse la main/ La main ne connaît que promesses/ La vie éveille tous les yeux…// Là je vois de près et de loin/ Là je m’élance dans l’espace/ …Là je reviens au monde entier/ Pour rebondir vers chaque chose/ Vers chaque instant et vers toujours/ Et je retrouve mes semblables». Aragon refuse aussi que se prolonge une vie au ralenti: «Nous étions faits pour être libres/ Nous étions faits pour être heureux/ Comme la vitre pour le givre/ Et les vêpres pour les aveux/ Comme la grive pour être ivre/ Le printemps pour être amoureux…// Nous sommes faits pour être libres/ Nous sommes faits nous sommes faits/ Nous sommes faits pour être heureux». Et au-delà des crises, Eluard rappelle l’essentiel et ce qu’il faut d’efforts pour l’obtenir: «Il ne faut pas de tout pour faire un monde il faut/ Du bonheur et rien d’autre// Pour être heureux il faut simplement y voir clair/ Et lutter sans défaut».

F. Garcia Lorca nous dit: «La lune est morte, morte/ mais ressuscite au printemps.// Lorsqu’au front des peupliers/ écumera le vent du Sud». Ainsi les poètes élèvent notre coeur, au-delà des servitudes et des résignations. Que nos épreuves nous plongent au centre de nous-mêmes, pour en ressortir forts de plus de dignité, de courage et d’humanité.

1) Maurice Fombeure (1906-1981), natif de la Vienne, est un magnifique poète qui cultive au plus haut point un exubérant amour de la vie et un esprit frondeur qui sont au fond de l’esprit gaulois. OEuvres: Les étoiles brûlées, Une forêt de charme (nrf, Poésie/Gallimard).