Pfizer, les profits d’une pandémie

Big pharma • L’entreprise étasunienne agit comme une brute dans la cour de récréation avec des pays qui veulent désespérément obtenir suffisamment de vaccins pour mettre fin à la pandémie. (Par Christophe Callewaert, Paru sur De Wereld Morgen en CC)

Pfizer est l’une des entreprises qui a gagné la course pour un vaccin contre les coronavirus. Bravo à eux. L’accès rapide aux vaccins étant l’une des conditions essentielles pour surmonter cette crise mondiale. Mais Pfizer est aussi l’une des entreprises les plus puissantes au monde, une multinationale ayant versé l’année dernière 8,4 milliards de dollars de dividendes à ses actionnaires.

Cette année, le montant devrait être beaucoup plus important. Pfizer s’attend à ce que les ventes se situent entre 59 et 61 milliards de dollars. Ce serait augmentation spectaculaire de 44% par rapport à 2020. Le vaccin devrait représenter un quart des ventes. Sa seule vente permettra de réaliser un bénéfice de 4 milliards de dollars (1). En tant que monopole temporaire, Pfizer peut compter sur des gouvernements voulant vacciner leur population le plus rapidement possible.

C’est en Israël, avec le contrat passé entre la multinationale et le gouvernement, que ce mélange toxique entre le profit, la santé et les politiciens qui veulent se démarquer, est le plus évident. Ce petit pays devenait champion du vaccin à une vitesse record, son zèle contrastant avec les campagnes de vaccination chancelantes dans la plupart des pays de l’UE. Pourquoi une entreprise comme Pfizer accorde-t- elle à un pays le privilège de s’approvisionner sans problème? Et dans la lutte mondiale contre la pandémie, est-ce vraiment une bonne idée de créer des vitesses différentes?

Pas des îles

Début janvier, le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pas hésité à répondre à cette deuxième question. «Cessez de conclure des accords bilatéraux», a déclaré à l’époque Tedros Adhanom Ghebreyesu, secrétaire général de l’OMS. Il n’a pas donné de noms, mais il a dû penser à Israël et à Pfizer. Dans un monde hyperconnecté, il ne sert pas à grand-chose de créer des îles.

Cette semaine, des scientifiques de l’université de Duke aux Etats-Unis ont tiré la sonnette d’alarme sur la situation au Brésil, qui est non seulement désastreuse pour les Brésiliens, mais aussi une menace pour le monde entier. «A quoi bon lutter contre la pandémie en Europe ou aux Etats-Unis si le Brésil reste un vivier pour le virus», a demandé le neuroscientifique brésilien Miguel Nicolelis. «En permettant au virus de circuler de cette manière, vous ouvrez la porte à de nouvelles mutations et à l’émergence de souches encore plus mortelles.» C’est exactement ce que fait Israël en miniature. Le pays vaccine sa propre population, mais ne donne pas le vaccin aux habitants des territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie.

Alors pourquoi Pfizer accorde à un pays le privilège de s’approvisionner sans problème? Une première réponse facile est l’argent. Le gouvernement israélien a fouillé ses poches pour avoir accès à des vaccins destinés à d’autres pays. Selon les médias israéliens, le pays a offert jusqu’à 50% de plus que le prix «normal».

Vaccins contre données

Mais l’accord entre Pfizer et Netanyahu va bien au-delà des dollars. Le gouvernement israélien veut donner à Pfizer l’accès aux données médicales et statistiques de sa propre population en échange d’une livraison rapide. Pfizer peut utiliser ces données et en diffuser les résultats. Quelles données sont partagées? C’est un secret. Sous la pression, Israël a libéré le contrat, mais une grande partie de celui-ci était illisible. Les données sont devenues une marchandise, pour laquelle les entreprises sont prêtes à payer beaucoup.

L’accord avec Israël s’est avéré n’être pour Pfizer qu’une petite préparation aux négociations avec d’autres pays. Le Bureau britannique du journalisme d’investigation (2) a exposé cette semaine la manière dont le géant pharmaceutique opère dans les pays d’Amérique latine. Les journalistes ont parlé à des sources du ministère argentin de la santé. Si Pfizer voulait bien fournir le vaccin à l’Argentine, la multinationale a exigé que la société soit à l’abri d’éventuelles demandes de dommages et intérêts. Une loi rendant cela possible a déjà été votée en octobre. Mais la loi n’est pas allée assez loin pour Pfizer. La société serait toujours responsable de ses propres erreurs lors du déploiement de la campagne de vaccination. La loi a été modifiée, mais Pfizer n’était toujours pas satisfait et a rompu les négociations. En décembre, la multinationale a fait une demande supplémentaire. L’Argentine a dû mettre en gage des bases militaires, des ambassades et des réserves de la Banque nationale comme garantie qu’elle pourrait utiliser en cas de demandes de dommages et intérêts.

Négocier comme le FMI

Les fonctionnaires argentins se sont vus rappeler l’épisode des négociations avec les financiers internationaux et le FMI lorsque le pays a fait faillite en 2001. Le FMI avait finale- ment coupé l’aide financière parce que cet Etat refusait de remplir des conditions strictes revenant à démanteler le gouvernement et à vendre le pays. Pfizer semble maintenant adopter cette ligne de conduite.

Le plus cynique dans cette bataille pour les vaccins est qu’il ne devrait même pas y avoir de pénurie. Beaucoup de capacités de production sont inutilisées dans le monde. Mais les usines ne peuvent pas se mettre au travail, car des entreprises comme Pfizer s’accrochent obstinément à leurs brevets. C’est d’autant plus choquant que presque tous les vaccins ont été développés grâce à un soutien gouvernemental particulièrement généreux. Le partenaire de Pfizer, BioNTech, a reçu 445 millions de dollars de l’argent des contribuables.

Alors que plusieurs pays comme l’Afrique du Sud ou l’Inde, avec le soutien d’une centaine de pays, tentent d’obtenir une latitude par le biais de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un lobby américain financé par Pfizer et Johnson & Johnson a immédiatement lancé une contre-attaque, faisant pression sur le gouvernement américain pour qu’il ne cède pas selon le journal d’investigation étasunien, The Intercept.

Sanctions

Deux autres groupes de pression du secteur pharmaceutique demandent aussi au gouvernement américain d’imposer des sanctions au Chili, à la Colombie, à la Hongrie et à un certain nombre d’autres pays qui prennent des initiatives pour contourner les brevets. Ces lobbyistes ont beaucoup de pouvoir, ayant dépensé 38 millions de dollars l’année dernière pour pousser les politiciens et les fonctionnaires dans la bonne direction.

Rappelons qu’en 2007, la Thaïlande a tenté de fabriquer des médicaments génériques contre le sida. En guise de sanction, les Etats-Unis ont imposé des droits de douane élevés sur toute une série d’exportations thaïlandaises, notamment les écrans plats et les bijoux, ce qui constituait une attaque directe contre l’économie du pays. Ainsi, à l’heure où les pays riches, qui représentent 16% de la population mondiale, obtiennent plus de la moitié des contrats actuels pour la fourniture de vaccins, les géants pharmaceutiques font tout pour s’assurer des profits. Le fait qu’ils nuisent ainsi à la lutte contre la pandémie ne semble pas les préoccuper dans l’immédiat.

 

1 Pfizer en partenariat avec BioNTech a estimé que les ventes de son vaccin atteindront 15 milliards de dollars, sans compter d’éventuels contrats supplémentaires. Le laboratoire suisse Novartis en assure une part de la production pour des premières livrai- sons prévues en août prochain (ndlr).

2 www.thebureauinvestigates.com/stories/ 2021-02-23/held-to-ransom-pfizer-de- mands-governments-gamble-with-state-as- sets-to-secure-vaccine-deal