La levée des brevets reste la clé de la production des doses

Covid-19 • Des Etats du Sud, qui en font la demande à l’OMC, aux citoyens du Nord, qui interpellent l’UE, la demande d’une suspension des règles de propriété intellectuelle devient un impératif. Retour sur la lutte pour faire du vaccin un bien public mondial. (Par Gaël De Santis, Paru dans l’Humanité)

La vaccination peut faire des miracles. L’an dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu déclarer l’Afrique libre de la poliomyélite sauvage, une maladie très invalidante. Cette éradication a été possible grâce à une vaste campagne de vaccination. Si elle avait été menée avec les critères actuels, elle aurait coûté les yeux de la tête.

On doit le sérum contre la polio à Jonas Salk, virologiste états-unien, qui a fait le choix de ne pas déposer de brevet. «Peut-on breveter le soleil?» avait-il alors ironisé. Son vaccin fonctionnait avec un virus affaibli. Depuis, des centaines de millions d’enfants et adultes ont été protégés par sa découverte.

Et si on faisait la même chose avec les vaccins contre le Covid-19? La question est plus que légitime. Quelques firmes vont engranger de juteux profits grâce à la pandémie. En février, Pfizer se prédisait une marge de 4 milliards de dollars (3,35 milliards d’euros) grâce à son vaccin. Pour les autres multinationales ou laboratoires, les chiffres sont similaires, bien qu’ils aient bénéficié d’immenses fonds publics pour financer leurs recherches.

Cette soif de profits pose souci. L’Europe, mais aussi les pays du Sud peinent à protéger leur population, car les détenteurs de brevets sont incapables de fournir des doses de vaccin en quantité suffisante, ne disposant pas des capacités de production nécessaires.

Pourtant, les usines de leurs concurrents, qui n’ont pas découvert le précieux sérum, ne tournent pas à plein et pourraient être utilisées à bon escient. Tout cela dépend, bien sûr, du bon vouloir des détenteurs de brevets, qui autorisent, ou non, leurs concurrents à produire le vaccin, moyennant rémunération. Le hic est que, bien que s’appuyant sur la recherche publique sur les ARN messager, ce sont des entreprises privées qui ont développé un vaccin. En France, l’Institut Pasteur a échoué.

D’autres équipes de chercheurs ont trouvé un vaccin, comme celle constituée par le virologue Kalle Saksela, en Finlande. Ils ont trouvé un sérum nasal, testé sur les animaux, qui était presque finalisé en mai. Mais, faute de financements, les tests sur les humains n’ont pas encore été lancés et ne le seront que prochainement. Seule l’Académie des sciences de Finlande a participé au tour de table. La découverte aurait pourtant un avantage: sa facilité d’administration. Cet exemple est assez unique. Partout dans le monde, une autre option est avancée: la levée temporaire des brevets. Une proposition en ce sens est sur la table de l’Organisation mondiale du commerce, faite par l’Afrique du Sud et l’Inde, le 2 octobre 2020. Elle est «sponsorisée» par 57 États, et soutenue par une majorité de membres.

Les pays occidentaux, où se trouvent les sièges des multinationales du médicament, font de l’obstruction. Les pays du Sud ne sont pas les seuls à exiger une levée des brevets. Des centaines d’ONG, partis politiques et syndicats demandent, en Europe, une décision en ce sens, face à l’incapacité des multinationales et start-up à relever le défi de la bataille de la production.

Une initiative citoyenne européenne – «Pas de profit sur la pandémie» – est portée notamment par le groupe la Gauche (ex-GUE/NGL) au Parlement européen, des ONG, des syndicats et des partis. Elle vise à collecter un million de signatures pour exiger que la Commission européenne présente une législation faisant la transparence sur l’utilisation des fonds publics par les multinationales, mais surtout à permettre une dérogation temporaire aux brevets sur les vaccins afin d’accélérer leur production.

Pétition suisse

Public eye et Amnesty ont lancé une pétition sur change.org, qui demande que la Suisse soit «solidaire pendant la pandémie». Constatant que la Suisse refuse de s’engager pour le partage des connaissances nécessaire à la lutte contre le Covid-19 avec les autres pays, les deux organisations posent leurs exigences au Conseil fédéral. Elles demandent que le gouvernement soutienne la dérogation temporaire à la propriété intellectuelle pour les traitements, tests et vaccins contre le Covid-19, rendent public les contrats passés avec les fabricants pour l’achat des vaccins. Et enfin que la Suisse adhère au programme de partage des connaissances de l’OMS appelé C-TAP (Covid-19 Technology Access Pool) et en incitant les entreprises pharmaceutiques domiciliées en Suisse à y adhérer. (Réd.)

www.publiceye.ch/fr/thematiques/medicaments/big-pharma-le-profit-a-tout-prix/pour-une-suisse-solidaire